Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
21 décembre 2014 7 21 /12 /décembre /2014 20:25

norbert-paganelli.png

Ce recueil de poésies en langue corse (variété du sud), et en vers libres, est présenté dans une édition bilingue. L’adaptation en français est effectuée avec finesse par Dominique Colonna. Les poèmes sont rassemblés autour de trois thématiques : « Ciò chì veni » ; « Sarà meddu à dilla » ; « Ciò ch’eddi dicini i parolli ».

Norbert Paganelli nous livre son rapport aux lieux, aux êtres, au temps... Se dégage de ses vers une nostalgie parfois désespérée, parfois plus sereine, presque douce. L’auteur choisit soigneusement dans sa langue les mots dont la force d’évocation est la plus considérable. Ses poésies renvoient naturellement à un univers personnel, mais également à un imaginaire commun. En témoigne notamment l’insertion dans les vers d’éléments idiomatiques : « Falzu com’è a cicuta » (Credu). Les poèmes opèrent une jonction parfaitement réussie, nous semble-t-il, entre singulier et universel, qu’il s’agisse du visage (Visu bellu visu) ou de l’écriture (Scrittu in u ventu)…  

Quant aux versions françaises, elles ne constituent pas de simples traductions, mais deviennent des pièces autonomes gardant intacte la puissance d’émotion originelle, ou en produisant une autre, différente, parfois légèrement décalée.

En corse et en français, ces textes doivent être lus lentement, avec attention. Car sous la forme souvent élégiaque perce l’espérance dont la présence, pour être discrète, n’en est pas moins tangible. Presque à chaque pas du parcours.

La préfacière, Marie-Ange Sebasti, qualifie ce recueil d’« appel sensible ».

Puisse cet appel être entendu.

 

(Publié dans La Corse, Hebdo, du 19.XII.2014)

 

Da l’altra parti/De l’autre côté, Colonna édition, Alata, 2014.

Partager cet article
Repost0
29 septembre 2014 1 29 /09 /septembre /2014 17:28

drapeau corse

« Mon intention n’est que mon intention, et l’œuvre est l’œuvre », écrivait Valéry. Ce faisant, il reconnaissait au lecteur le droit d’avoir – et d’exprimer – une interprétation non conforme au dessein de l’écrivain. Ce droit, modestement, nous entendons l’exercer : Marc Biancarelli récuserait peut-être ce statut d’anti-Mérimée, il nous semble pourtant convenir à l’auteur d’Orphelin de Dieu. Le fait d’avoir choisi le nom de Colomba comme patronyme de l’un de ses personnages centraux peut être considéré comme un clin d’œil. Même si l’auteur indique que ce nom est authentique et qu’il l’a trouvé dans les archives de l’époque. Mais là n’est pas l’essentiel.

Le décor est bien celui de Colomba, la Corse du XIXe siècle, celle des bandits et des infâmes voltigeurs, malfaiteurs insulaires passés du côté de « l’ordre », au sein du corps spécial institué dans l'île de 1822 à 1850. Et ce sans cesser d’appartenir à l’espèce des bandits, et des pires qui soient… La langue corse en a longtemps gardé le souvenir : au XXe siècle encore, lorsqu’une maîtresse de maison s’apprêtait à changer les verres qui venaient d’être utilisés, il n’était par rare d’entendre un invité s’exclamer : « Ùn ci anu micca betu i voltisgiatori! » (Ce ne sont pas les voltigeurs qui y ont bu!). Cela donne la mesure de l’écœurement suscité par cette singulière soldatesque. « La lie du pays », dit l’un des personnages de Biancarelli. Toutefois, « légaux » ou pas, quel que soit le camp auquel ils appartiennent, les bandits d’Orphelins de Dieu n’ont rien de « bandits d’honneur ». Il est vrai que ce curieux oxymore a largement été introduit au XIXe siècle par la littérature romantique française. Au siècle précédent, il aurait paru étrange de revendiquer le titre de « bandit ». Pour Pascal Paoli – sa correspondance le révèle largement –, les bandits sont les ennemis, Matristes ou partisans de Gênes. Pour ces derniers, les bandits sont les Paolistes… Au XVIIIe siècle, le bandit c’est toujours l’autre. Lorsque, bien plus tard, les Résistants de la seconde guerre mondiale se qualifieront eux-mêmes de « bandits d’honneur »[1], ils porteront sans le réaliser l’empreinte du romantisme mériméen. Biancarelli en revanche ne s’y trompe pas : ses bandits sont des guerriers déchus. Anciens guerriers, nouveaux bandits, tristes héros d’une épopée de la décadence : « Tuer, voler, passer de ville en ville, s’enfuir encore… ». On est loin du « joyeux bandit » de pacotille chanté par Tino Rossi. De la même façon, le maquis d’Orphelins de Dieu est aux antipodes du mythique « palais vert ». Paradis des romantiques français, le maquis fait figure de Purgatoire chez les auteurs corses du XXe siècle : « A zitellina ùn sò s’è mi rammentu /È l’allegria hè fughjita luntana /Per fà la piazza à stu longu turmentu /Chì eu ne passu da lu monte à lu pianu » (Peppu Flori, U Lamentu di u banditu, « Sò for’ di strada »).

Chez Biancarelli, le maquis prend carrément la forme de l’Enfer : « …ils ne firent pas halte et franchirent le cirque de dalles granitiques pour foncer vers les sous-bois à l’instant où le ciel se déchaînait, lâchant des trombes d’eau et d’effrayantes salves d’éclairs ».

À ceux qui douteraient encore que l’on peut faire de la littérature authentiquement corse en langue française, on pourrait faire observer un phénomène significatif. Orphelins de Dieu est évidemment truffé d’éléments – thèmes, motifs, topoi – tirés de notre imaginaire collectif : les armes, les bandits, le maquis… Des éléments que l’on trouve à la fois dans la littérature des romantiques français sur la Corse et sous la plume des écrivains insulaires (d’expression corse, italienne ou française). Toutefois, entre les textes de ceux-ci et les écrits de ceux-là, on retrouve la distance séparant l’image d’Epinal des choses vécues. Prenons la thématique de la vengeance. Le cliché, l’« ethnotype », présente le Corse comme méprisant les tribunaux et leur préférant la loi atavique de la vendetta. Pourtant, les textes littéraires corses ne disent pas cela. Ils présentent toujours la vengeance comme la conséquence de la défaillance des institutions judiciaires : « À chì hà danari è amicizia torce u nasu à a ghjustizia ». Ainsi, lorsque l’on analyse la question dans sa complexité, la vendetta apparaît davantage comme un choix par défaut que comme une valeur culturelle ou un marqueur identitaire. Parmi de multiples exemples, on pourrait citer U Lamentu di Ghjuvan Cameddu où le bandit Nicolai, de Carbini, évoque l’acquittement de Lisandrone qui avait tué son frère : « Subitamente / Dopo averlo amazzato / Si sottomessi / Al perfido giurato / E cun mezzi ed influenza / Fu ben tosto giudicato. / Senza dubbio in consiquenza / Venzi assolto e liberato. »[2] Dans le même esprit, Biancarelli évoque l’« iniquité perpétuelle » des tribunaux.

Il apparaît donc que le texte de Marc Biancarelli se situe en opposition à la littérature romantique française sur la Corse, et rejoint sur bien des points les auteurs corses qui l’ont précédé.

Il nous reste à évoquer la question du « sous-texte », dont Biancarelli admet explicitement qu’il établit un lien avec la situation contemporaine de l’île[3]. Il s’agit là d’un angle de vue, du produit d’un parcours personnel, celui de Marc Biancarelli. Dans la Recherche, Proust écrit que « le devoir et la tâche d’un écrivain » consiste à traduire le livre qu’il porte en lui. On a dit que Mistral a peint une Provence rêvée, Barrès une Lorraine rêvée. La Corse de Biancarelli semble être une Corse cauchemardée. Ne fait-il pas dire à l’un de ses personnages : « La haine, le ressentiment, la jalousie, la convoitise, la médisance, on dira que c’est à peu près ce qui se partage le mieux dans ce putain de territoire, et si l’on y ajoute l’enculerie, la politique, la tyrannie, l’oppression et la guerre permanente, la vengeance et la corruption, je crois qu’on a un terreau durable pour que le merdier légué par nos anciens se perpétue encore longtemps ».

Cette Corse là n’est pas nécessairement la vôtre, ni la mienne.  Elle ne vous paraîtra peut-être pas conforme à la réalité d’aujourd’hui, ni à celle d’hier telle qu’elle nous a été racontée par nos anciens. Peu réelle, peut-être, mais terriblement vraie, au moins le temps d’une lecture. C’est sans doute, pour reprendre la formule proustienne, que Marc Biancarelli n’a pas inventé mais « traduit », non sans talent, le livre qui « existait déjà en lui ».

(Publié dans La Corse, supplément au quotidien Corse-Matin, le 26 septembre 2014)

        

                                           

 

 



[1] Cf. l’ouvrage de Maurice Choury, La Résistance en Corse, “Tous bandits d’honneur !“, Editions sociales, Paris, 1958.

 

[2] J. B. Marcaggi, Les chants de la mort et de la vendetta de la Corse, Perrin et Cie libraires-éditeurs, Paris, 1898, p. 320.

 

[3] Cf. entretien avec Philippe Martinetti, lors de la manifestation littéraire « Racines de ciel » du 30 août 2014 à Ajaccio.

Partager cet article
Repost0
28 août 2014 4 28 /08 /août /2014 08:40

Chalandon-copie-2.jpg

 

Antigone au Liban. Au cœur de la guerre. Faire jouer la pièce d’Anouilh par une troupe d’acteurs provenant de l’ensemble des camps en présence. Il seraient réunis en cette unique occasion. Des ennemis observant une improbable trêve sur une scène éphémère, avant de regagner leurs positions respectives. C’est l’histoire d’une idée étrange, d’une sublime démence, que nous propose Sorj Chalandon. L’auteur de Mon traître et de Retour à Killybegs (Grand prix du Roman de l’Académie française) – ces deux ouvrages ayant pour cadre l’Irlande du Nord –, puise la matière de ses romans à travers les séjours professionnels qu’il effectue comme journaliste, manifestement engagé, dans les pays en conflit. D’où la force émotionnelle de récits qui ne laissent pas le lecteur indemne, pour utiliser une formule quelque peu galvaudée mais qui trouve pourtant ici son exacte application.

Nous n’aborderons que l’un des aspects d’un texte par ailleurs très riche : l’actualité sans cesse renouvelée d’un mythe poétique, philosophique et politique, le plus grand de tous à en croire Hegel et bien d’autres. Celui de la nièce de Créon, roi de la cité, dont elle est également la victime et le bourreau. Personnage d’une complexité inouïe, Antigone nous paraît déjà chrétienne dans les lignes de Sophocle, comme l’observe Thomas de Quincey : « Sainte païenne, fille de Dieu avant que Dieu ne fût connu… »[1]. Sous la plume d’Anouilh, Antigone assume l’absurdité de son comportement, et du devoir, et de la vie qui s’achève prématurément : « Créon : Et tu risques la mort parce que j’ai refusé à ton frère ce passeport dérisoire, ce bredouillage en série sur sa dépouille (…) C’est absurde. Antigone : Oui, c’est absurde. »[2]. Comme on le voit, ce n’est pas par hasard que Sorj Chalandon introduit l’Antigone d’Anouilh au cœur de la guerre du Liban :  la religion, les armes, l’absurdité des engagements définitifs – aux légitimités réelles mais inconciliables –, l’inexorable de la tragédie qui avance comme le rappelle le chœur : « Cela roule tout seul. C’est minutieux, bien huilé depuis toujours. La mort, la trahison, le désespoir sont là, tout prêts, et les éclats, et les orages… »[3]. La tension entre, d’une part, la complexité de la situation et des points de vue, et, d’autre part, le caractère inéluctable du dénouement tragique, font du mythe choisi une parfaite métaphore de cette guerre des années 1980. Et si les camps opposés acceptent de jouer le jeu, c’est parce qu’ils élaborent des interprétations extrêmement différentes de la même pièce.

Le milicien chrétien « trouvait que l’obstination à mourir de la jeune femme était risible, vaine, sans but ni raison. Il disait que son entêtement aveugle était érigé contre le sens commun. Il appréciait que son jeune frère incarne Créon le puissant. Celui qui dirigeait la cité, qui était craint par son peuple, qui œuvrait pour l’intérêt de tous, qui gardait la tête haute, qui échappait au déshonneur. »

Le narrateur, par ailleurs metteur en scène de la pièce, croit honnête d’observer : « C’est un peu plus compliqué que cela… »[4]. 

Pour sa part, le chef chiite entouré de fusils d’assaut donne son accord en précisant : « Mes fils m’ont dit que leur rôle de gardes serait d’entourer leur chef, de le protéger comme un père et de faire respecter son autorité. Ils m’ont expliqué qu’une jeune femme le défiait. Qu’à travers lui, elle narguait la loi divine et que ce calife bien guidé mettait un terme à cette arrogance. »

Cette fois, le narrateur croit plus prudent de confirmer : « C’est exactement cela, Cheikh Mamâar al-Sadeq. »[5].  

Quant au Druze, il accepte que son fils joue le rôle d’Hémon, fiancé d’Antigone, estimant que ce personnage « était un amoureux, un courageux, un noble, qui préférait mourir avec sa promise plutôt que de vivre sans elle ». Pour lui, Hémon était « le Druze. Le seul de tous qui avait une âme et un cœur qui battait. ».

Le narrateur pose la main sur son épaule[6].

À son tour, l’Antigone palestinienne présente son personnage : « …celle qui dit non. Qui refuse les ordres, les consignes, les conseils. (…) Qui veut que son frère soit enterré dans sa terre et non laissé aux chiens. (…) Qui va hurler que c’est elle, Antigone, Imane la Palestinienne, qui a voulu enterrer son frère dans sa terre natale. Elle qui va refuser le bonheur avec Hémon. La vie avec tous les autres. Et qui va choisir la mort pour ne pas trahir. »

Le narrateur applaudit son Antigone[7].

Seul Charbel, jeune chrétien maronite, s’interroge sur son propre rôle : « Et Créon ? Salaud comme le croit Imane ou héros ? » Le metteur en scène avoue son incertitude : « Personne n’avait jamais su. Chacun se débrouillait avec le Créon qui régnait à sa porte. Je lui ai dit que lui, Charbel, pouvait habiter le roi comme il voulait. »

Charbel choisit donc son personnage : « Alors il a répondu tout faire pour sauver Antigone. Il l’aime. Il la protège. Il veut la comprendre mais elle refuse la main tendue. (…) Il va aller au plus loin pour lui éviter de mourir. En vain. Elle ne mourra pas à cause de lui, mais malgré lui. »[8].

Charbel a fait le choix qui lui convenait. Toutefois, il est vrai que « personne n’a jamais su » si Créon était vraiment un salaud. Malgré les innombrables versions d’Antigone dont George Steiner donne un aperçu dans un ouvrage passionnant[9], le débat reste entier. L’interprétation de Hegel, qui constitue une référence, place à égalité Antigone et Créon, « tous les deux justifiés de défendre leurs droits, et tous les deux coupables de le faire avec excès et démesure. »[10]. Mais la figure d’Antigone symbolise surtout aujourd’hui la contestation du droit positif au nom de lois supérieures, démarche que l’on traduit généralement par l’expression « désobéissance civile ».

Lorsque, il y a quelques semaines, Sorj Chalandon présenta son ouvrage à Bastia, il appris que la Corse avait son Antigone : Maria Gentile, cette jeune femme du Nebbiu qui, au moment de la conquête française, donna une sépulture à son fiancé malgré l’interdiction des autorités militaires d’occupation qui l’avaient exécuté. Ce fait historique remontant au XVIIIe siècle donne d’une certaine manière la réponse corse à la question précédemment posée. Si Antigone s’est incarnée dans l’île sous les traits de cette jeune femme, c’est sans doute en raison d’une particulière inclination de nos compatriotes à se révolter contre la loi injuste. Entre Créon et Antigone, la Corse a choisi.

Sorj Chalandon également.

(Publié dans La Corse, supplément au quotidien Corse-Matin, 15 août 2014)



[1] Cité dans : George Steiner, Les Antigones, Gallimard,1986, p. 5.

[2] Jean Anouilh, Antigone, La Table Ronde, Paris, 1946, p. 72.

[3] Ibid., p. 53.

[4] Sorj Chalandon, Le quatrième mur, Grasset, Paris, 2013, p. 164.

[5] Ibid., p. 168.

[6] Ibid., p. 176.

[7] Ibid., p. 196.

[8] Ibid., p. 225.

[9] Les Antigones, op. cit.

[10] Paul Demont, « Lectures de l’Antigone de Sophocle », in Sophocle, Antigone, traduction de Paul Mazon, le livre de poche, classique, Editions Les Belles-Lettres, Librairie Générale Française, 1991, p. 76.

Partager cet article
Repost0
23 juillet 2014 3 23 /07 /juillet /2014 21:52

chalandon-.png

SORJ CHALANDON,

UN « VOYAGE AU CŒUR DES HOMMES BLESSÉS »

Les rencontres littéraires Una Volta, Dui Mondi, coorganisées par la librairie Les Deux Mondes et le centre culturel Una Volta, ont été l’occasion de la venue en Corse du journaliste et écrivain Sorj Chalandon qui a présenté, dans les jardins du Musée de Bastia, sa dernière œuvre, Le quatrième mur (Grasset, 2013).

Le roman d’un projet insensé : organiser dans le Beyrouth en guerre des années quatre-vingt, une représentation théâtrale, l’Antigone de Jean Anouilh, en mobilisant des acteurs provenant de tous les camps belligérants afin que, quelques heures durant, cesse le fracas des armes et renaisse l'espoir d’un avenir partagé.

Mais l’entretien avec l’auteur, mené par le libraire Pierre Negrel, s’est rapidement écarté du Proche-Orient pour aborder le thème, central dans l’œuvre de Sorj Chalandon, du conflit nord-irlandais.

Il y a consacré deux romans : Mon traître (Grasset, 2008) et Retour à Killybegs (Grasset, 2011).

Deux romans pour raconter une seule et même histoire, celle d’un officier de l’IRA, combattant exemplaire et ancien détenu politique au terrible pénitencier de Long Kesh qui, en 2005, s’est avéré, à la stupéfaction de tous, être un collaborateur des services secrets britanniques, traître à la cause irlandaise depuis vingt ans.

Son exécution, en avril 2006, n’a fait l’objet d’aucune revendication.

Si Sorj Chalandon a été ébranlé par ce parcours au point d’y consacrer un diptyque romanesque, c’est parce que cet homme, ce traître, c’est « son» traître, son ami Denis Donaldson rebaptisé Tyrone Meehan dans les deux romans.

Cette amitié, Sorj Chalandon l’a nouée à l’époque où, grand reporter à Libération, il couvrait le conflit nord-irlandais.

Après Mon traître, dont le narrateur est le luthier Antoine, l’ami français, c'est-à-dire lui-même, Sorj Chalandon a ressenti intimement comme une urgence, celle de revenir sur ce récit, sur cette blessure personnelle, pour adopter, cette fois-ci, le regard de celui qui a trahi.

Un homme qui ne s’est pourtant jamais expliqué sur les raisons de son retournement par les britanniques.

C’est précisément la raison pour laquelle Sorj Chalandon est allé puiser en lui-même une explication, la réponse à une question obsédante : comment, pourquoi devient-on un traître ? Quels sont les ressorts intimes de la traîtrise ?

Une introspection, car Sorj Chalandon est convaincu que tout homme porte en lui un héros et un traître, et que seules des circonstances hors norme, dont la guerre fait partie, sont susceptibles de dévoiler lequel, du grand homme que l’on érige en modèle ou du salaud qui aura la mort pour seule rétribution, entrera dans la lumière.

Les réponses que son ami ne lui donnera jamais, Sorj Chalandon les livre dans Retour à Killybegs.

 

Mais il n’impose pas une « Vérité », il propose sa vérité, celle dont il avait lui même besoin pour clore cette page de son histoire personnelle.

A travers ce récit subjectif, il nous livre aussi un témoignage incomparable sur la lutte irlandaise.

 

Ce que les combattants de l’IRA reprochent avant tout aux britanniques, nous dit-il, ce n’est pas d’opposer la force des armes à leur désir de liberté mais, comme le disait Michael Collins, «d’avoir fait d’eux des assassins».

Dans Mon traître, Sorj Chalandon cite un vers du poète Irlandais William Butler Yeats : « A terrible beauty is born ».

Une terrible beauté qui exprime la fascination mêlée d’effroi ressentie par Yeats voyant son peuple prendre les armes contre l’oppresseur britannique et s’emparer de la poste centrale de Dublin en 1916.

Cette émotion, Sorj Chalandon l’a sans doute partagée sur le sol irlandais, comme en témoignent ses ardentes descriptions des apparitions des combattants, lorsque défilent en armes les soldats de l’IRA, ou se lèvent les fusils des hommages militaires, solennellement rendus à ceux qui sont tombés.

Son sentiment sur le recours à la lutte armée lorsqu’elle est le prix de la dignité d’un peuple, Sorj Chalandon l’a livré sans circonlocutions au cœur de la citadelle de Bastia : "Moi je ne suis pas un hippie. Et je trouve qu'il y a des guerres justes. Et ces guerres-là il faut les mener, car on n'a pas le choix."

À la « terrible beauté » de Yeats, Sorj Chalandon a toutefois apporté, sinon un correctif à tout le moins une lumière personnelle : «La première beauté de la guerre d'Irlande, c'est la dignité de ceux qui l'ont menée ».

Comme un dialogue, par-delà le voile du temps, entre le poète et l'écrivain.

 

Charles-Eric Talamoni

Partager cet article
Repost0
12 mars 2014 3 12 /03 /mars /2014 08:34

Marie Ferranti

Un livre étonnant que l’on ne se hasardera pas à ranger dans un genre littéraire répertorié, de crainte de voir ce dernier prendre l’allure du lit de Procuste. Abandonnons donc toute velléité de classification pour nous pencher sur la richesse du texte.

Nous aborderons dès l’abord un aspect de l’ouvrage qui a pu heurter certains lecteurs (nous confessons en faire partie !) : la place réservée à ce microcosme greffé il y a plusieurs décennies sur la commune de Saint-Florent, composé d’éléments de la haute bourgeoisie et de l’aristocratie française. Marie Ferranti semble porter sur ces personnages, alternativement, un regard sévère et une attention attendrie… Pour notre part, nous avons partagé plus aisément le premier que la seconde. Non pas, bien évidemment, en raison de l’origine géographique ou sociale des personnes en question, mais à cause de leur façon d’être et de leur attitude – généralement distante ou paternaliste – envers les autochtones. Sans verser dans un racisme social à rebours, avouons que nous nourrissons davantage de sympathie pour d’autres étrangers qui s’installèrent à la même époque dans nos quartiers populaires ou nos villages, et qui partagèrent notre vie collective dès la première génération. Ils sont des nôtres alors que ceux de Saint-Florent ne le seront jamais, ne l’ayant du reste jamais envisagé. Cela dit, les idées générales comme celles que nous venons de formuler s’effacent toujours devant la réalité des rapports humains, toujours différente, toujours déroutante. Sans doute, malgré nos réticences, chacun d’entre nous pourrait être sensible à la magie du château de Fornali, voire atteint par une sorte de syndrome de Stockholm… Par ailleurs, les milieux – et les familles – sont composés de personnalités différentes que l’on ne saurait confondre en une même forme monolithique. Cette parenthèse d’une sociologie quelque peu sommaire étant refermée, penchons-nous sur l’essentiel, à savoir la littérature.

Il semble que, par-delà la localité de Saint-Florent – mentionnée en sous-titre –, les thématiques principales de cet ouvrage soient d’une part l’espace et le temps, et d’autre part l’identité corse.

L’espace bien sûr. Et surtout le lien entre hommes et espace, « Trà locu è populu »[1], pour paraphraser Rinatu Coti. Marie Ferranti s’attache à retrouver la trace de tel fait, anodin ou dramatique, advenu jadis dans telle pièce, dans telle maison, dans telle rue de Saint-Florent. Et elle se désole avec Baudelaire de ce que « La forme d’une ville change plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel ». Et oui, le temps fait inéluctablement son œuvre. Mais le temps, n’est-ce pas précisément le sujet de l’enquête de Marie Ferranti ? En interrogeant sans relâche les villageois, en mêlant ses propres souvenirs à ceux des plus anciens, et en confrontant au présent l’ensemble de ce passé, que cherche-t-elle au juste, si ce n’est recueillir « un peu de temps à l’état pur » ? Enquête passionnante certes, mais quête infiniment périlleuse, la nostalgie n’étant jamais distante de la mélancolie. Les paroles que l’auteur consigne scrupuleusement illustrent ce danger : « Que le temps passe, que de choses ont disparu, si tu savais ! ». Et le proverbe de confirmer impitoyablement : « A vita hè un’ affaccata à a finestra »[2].

Toutefois, la langue corse n’est pas ici confinée à cette supposée sagesse parémiologique, qui fait souvent office d’alibi identitaire dans les textes en langue française. Le corse se taille une place non négligeable : outre divers passages plus brefs, huit pages entières consacrées à « Rosalie Scotto, memoria viva ». Et ce n’est pas une mince satisfaction que de voir notre langue, si souvent méprisée par Paris, investir les chapitres de la sacro-sainte « NRF », dont Gide ferma un jour la porte au nez de Marcel Proust, avant il est vrai de s’en repentir amèrement. Notre langue, mais également notre histoire : nous retiendrons notamment l’évocation de Maria Ghjentile, sans doute la plus belle figure de l’imaginaire national insulaire[3]. Après celle de Vattelapesca (en italien) et celle de Lucciardi (en corse), on rêve d’une nouvelle version de ce drame écrite – pourquoi pas en français ? – par Marie Ferranti. Car on sent bien que pour cet écrivain, reconnu de l’autre côté de la mer par les institutions les plus prestigieuses, la défense de notre identité est désormais la grande affaire. Marie Ferranti n’écrit-elle pas au sujet de ces Corses prétendument « arrivés » : « Ils rejettent la richesse de cette culture au nom d’une autre – la française – dont ils n’ont d’ailleurs pas même idée, car s’ils l’avaient, ils auraient reconnu la beauté qu’ils avaient sous le nez ! ». Tout est dit.

 

(Publié dans "Paroles de Corse", mars 2014) 

 



[1]Rinatu Coti, Trà Locu è Populu, dialogue avec Vincent Stagnara, L’Harmattan, Paris, 2001.

[2] La vie est aussi courte qu’un regard lancé par la fenêtre.

[3] Surnommée l’Antigone corse, Maria Ghjentile était une jeune femme du Nebbiu qui, au temps de la conquête française de la Corse, donna une sépulture à son fiancé malgré l’interdiction des autorités militaires d’occupation.

Partager cet article
Repost0
23 décembre 2013 1 23 /12 /décembre /2013 19:29

Mosconi.png

Si les moments importants, qui rythment la vie des peuples, doivent entrer dans les livres, c’est que tout le reste ne suffit pas. Les images de télévision sont rapidement ensevelies dans d’improbables archives d’où elles ressortent rarement – et de façon très sélective. Les articles de journaux finissent en de misérables tas de papiers jaunis où l’histoire ne semble pas pouvoir résider dignement. Certes Internet n’oublie rien, mais ne retient rien non plus. Quant à la mémoire humaine – individuelle ou collective –, elle n’est pas, on le sait, particulièrement fiable. Il nous reste le livre.

Alain Mosconi a décidé de rendre publique sa part de vérité sur « l’affaire du Pascal Paoli », et il le fait à travers un ouvrage synthétique et précis. À ceux qui, comme nous, ont suivi l’affaire de près, il rafraichira les souvenirs. Aux autres, il enseignera comment l’esprit de lucre et les arrangements entre coquins peuvent recevoir l’appui de la force armée. Aux Corses, il rappellera qu’une part de leur patrimoine a été confisquée par les voleurs institutionnels. Même les cocardiers français pourront y trouver leur compte en découvrant, ébahis, que l’armée française a fini par gagner une bataille navale, ce qui ne lui était pas arrivé souvent au cours de son histoire…

Quant aux nationaux, ils feront le lien avec les débats actuels, notamment celui autour de la compagnie maritime publique de la Corse, plus que jamais d’actualité. Ici comme en d’autres domaines, rien ne viendra jamais de la bienveillance parisienne. En ces temps d’incertitudes et d’espoirs – de rapports de forces également –, la Corse a besoin d’un syndicalisme clairement enraciné dans le mouvement national, d’un syndicalisme de combat.

À cette grande idée, Alain Mosconi apporte ici une belle contribution.

 

                                                                                                  (Editions Albiana, Ajaccio, 2013)

Partager cet article
Repost0
26 novembre 2013 2 26 /11 /novembre /2013 21:51

la-femme-sans-tete-albertini.jpg

Antoine Albertini vient de recevoir le Prix du livre corse pour son premier roman, ce qui nous donne l’occasion de revenir sur l’ouvrage.

L’écriture de ce texte sui generis reflète la contrainte qui a pesé sur l’auteur, telle qu’il l’a lui-même évoquée dans la presse. Son idée initiale étant de rendre compte d’une histoire vraie et de sa propre enquête sur le sujet, il a dû en faire un roman pour satisfaire aux conditions imposées par la maison d’édition. Néanmoins, la réalité affleurant en permanence, il est difficile de considérer ce récit – en dépit de la mention portée sur la couverture – comme relevant du « mentir vrai » romanesque…

D’autant que les Corses ont conservé à l’esprit l’affaire de la femme décapitée trouvée en 1988 dans le cimetière de Miomu et s’étant avérée être une jeune infirmière, disparue une dizaine d’années plus tôt en même temps que son fils de huit ans.

Sans mésestimer l’horreur et la compassion suscitées par le calvaire de la mère – que l’autopsie révéla à suffisance –, on sent bien que le sort de l’enfant constitue l’interrogation centrale et lancinante du récit. L’auteur s’applique à donner une image terriblement attachante de ce « petit garçon tout blond » qui observait les oiseaux avec passion et, par son innocence et sa spontanéité, charmait tous ceux qui l’approchaient. Sans doute arraché à sa mère avant d’être assassiné, son martyre présumé est bien le centre de gravité d’un drame se jouant sur une terre réputée exempte de ce genre de dérives.

L’auteur fait d’ailleurs état de statistiques judiciaires confirmant sans ambiguïté cette singularité insulaire.[1]

Dans la commune qui fut jadis le lieu du drame, la tonalité des réactions suscitées par la curiosité du journaliste enquêteur en disent long sur la façon dont sont ressenties ses questions, l’indignation portant principalement  sur la disparition de l’enfant et sur la suspicion que l’on semble à cet égard faire peser sur la population locale : « Eh non qu’on ne les tue pas, les enfants, ici ! ».

Outre le plaisir d’une lecture captivante, au sens propre – on a réellement du mal à lâcher le livre avant d’avoir atteint les dernières lignes –, c’est sans doute l’apport principal de ce roman que de souligner la sensibilité particulière des Corses à l’égard de ce genre d’affaires. Les textes littéraires confirment évidemment cette réalité – le caractère sacré de l’enfant –, du moins les textes authentiquement corses. La littérature romantique française, dans sa volonté de mettre en relief l’archaïque violence de l’île, a ignoré cette particularité. En témoigne le célèbre Matteo Falcone de Mérimée, dans lequel le père lave l’honneur de la famille en exécutant son fils de dix ans. Or, détail intéressant, à la différence de Colomba, Matteo Falcone est inspiré d’une nouvelle en langue italienne écrite par un Corse, Francesco Ottaviano Renucci, intitulée La delazione punita. Et l’on observe que dans la version de Renucci, il n’est pas question d’un enfant de dix ans. Il s’agit ici d’une invention de Mérimée.[2] Cette différence entre hypotexte corse et hypertexte français paraît particulièrement significative.

Pour en revenir à Antoine Albertini, il a, malgré le titre de son ouvrage, essentiellement consacré ce dernier au tabou que constitue l’enfance martyrisée dans notre imaginaire collectif. Ainsi, l’enfant finit au fil des pages par occuper toute la place. Quant à la « femme sans tête », si c’est en sa qualité de femme qu’elle fut persécutée et assassinée, le lecteur insulaire ne peut s’empêcher de la voir avant tout comme une mère.

Celle du  « petit garçon tout blond ».

 

(Publié dans Paroles de Corse, novembre 2013)



[1] Ce qui n’implique évidemment pas l’absence totale d’affaires de cette nature.

[2] Cf. Pierrette Jeoffroy-Faggianelli, L’image de la Corse dans la littérature romantique française, PUF, Paris, 1978, p. 212.

Partager cet article
Repost0
24 novembre 2013 7 24 /11 /novembre /2013 17:42

images-copie-16.jpg

Avec ce roman, Jacques Thiers nous livre un nouveau pan de son univers romanesque. Plus exactement, il nous offre un angle de vue différent sur le même objet. Cette fois, c’est le regard d’un enfant qui nous introduit dans une cour d’immeuble, monde clos et autonome, métaphore d’une ville si souvent explorée par l’auteur. Un regard d’enfant privé de toute innocence, ce qui arrive plus souvent qu’on le croit. Ce qui, en fait, est la règle.

Les thématiques habituelles sont évidemment présentes, comme s’il était impossible à un écrivain corse d’écrire le moindre texte de quelque importance sans y revenir, immanquablement : la guerre et la vengeance se retrouvent une fois de plus sous la plume de l’auteur, comme dans In corpu à Bastia. S’il ne s’agit en rien d’un rimake, les deux romans constituent bien en revanche des éléments d’un même ensemble.

La guerre est celle de 14-18. « Evidemment », serait-on tenté d’écrire, tant la Grande guerre est, depuis quelques années, omniprésente dans la littérature insulaire, d’expression corse ou française. Quelques exemples, et non des moindres, suffiront pour s’en convaincre : Ombre di guerra de Jean-Yves Acquaviva, Murtoriu de Marc Biancarelli, Le sermon sur la chute de Rome de Jérôme Ferrari… Il n’est pas aisé de rendre raison de ce phénomène. Sans doute le processus d’inscription dans l’imaginaire collectif est-il, ces derniers temps, parvenu à son stade de maturation. On sait que la transmission familiale a souvent été entravée par la répugnance de certains témoins à exhumer des souvenirs douloureux. Parfois, cette transmission a pu sauter une génération, se faisant de grands-parents à petits-enfants, de grands-oncles à neveux… Et puis il a fallu le temps de la méditation, individuelle et collective. Finalement, tout cela aura pris un siècle, celui que nous bouclerons l’an prochain avec les commémorations prévues.

Autre élément majeur de notre imaginaire, la vengeance. Dans ce texte, elle s’accomplit de façon étrange, entre deux personnages présentés de façon extrêmement nuancée. On vit ainsi, de l’intérieur, le parcours d’Orsu Dumenicu. Ce dernier est confronté à une situation difficile, l’intrusion dans sa vie du jeune Anton Dumè menaçant son équilibre personnel et familial. Après la mort de ce dernier, le lecteur partage les tourments d’Orsu Dumenicu dans sa tentative de rédemption : pour trouver le repos de l’âme, il ira jusqu’à se faire pénitent au Catenacciu. En vain : l’apaisement qui semblait se dessiner lors de la retraite précédant la cérémonie ne sera pas confirmé par cette dernière…

La justice des hommes, incarnée par le commissaire, avait montré son impuissance. L’expiation par la souffrance volontaire se révèle inefficace. De même que la religion, pourtant servie par de belles et attachantes figures d’ecclésiastiques : Frate Klaus et, bien plus tard, Frate Antonello… Mais pour délivrer Orsu Dumenicu et donner une issue à la situation inextricable dans laquelle il se débat fiévreusement, il ne reste désormais que la solution de dernier recours, pratique traditionnelle s’il en est : la vengeance. Celle dont il sera victime. Pratique traditionnelle mais, ici comme dans de nombreux autres textes littéraires corses, ne constituant qu’une voie « par défaut » imposée par les circonstances.

À la fin du roman, on se surprend, un peu confus, à être heureux du dénouement : Rosa, la veuve d’Orsu Dumenicu, est plus jeune et plus belle que jamais. La vie et l’amour ont raison de tout. Quant à ceux qui ne sont plus, ils auraient bien tort d’en prendre ombrage ! Le monde continue son chemin et comme dit le proverbe : « U mortu allarga u vivu »…

Il est superflu d’ajouter que les personnages de Ghjacumu Thiers sont vrais. Ceux qui connaissent le reste de son œuvre ont déjà été confrontés à leur complexité. Une complexité qui est celle de la vie. Ces hommes et ces femmes, on a l’impression de les avoir côtoyés, de bien les connaître. Et pourtant ils nous surprennent.  

Telle la mer entourant le personnage principal – c’est-à-dire la ville –, l’épreuve d’artiste est toujours recommencée. Mais toujours autrement. En attendant la fresque dans son état définitif.  Mais il faudra encore pour cela quelques romans…

(Publié dans La Corse du 22.XI.2013) 

Partager cet article
Repost0
4 juin 2012 1 04 /06 /juin /2012 16:26

Libera-me-copie-7.jpg

Hè isciuta in u cummerciu a prima parte di una trilugia nantu à isse duie urganisazioni clandestine. A trama hè di u nostru amicu Frédéric Bertocchini, d’Alta Frequenza, è di l’Irlandese Miceal O’ Griafa, i disegni di Michel Espinosa, è i culori di Pascal Nino. Si tratta di una finzione, ma u fondu storicu hè statu travagliatu assai, ancu s’è l’autori ùn volenu parlà d’un opera storica ma d’un “thriller puliticu”. Facenu vede, isse pagine, e lotte, e speranze è i sacrifizii di dui populi chì ùn sò mai stati sottumessi da a forza straniera. Ci ramentanu dinù a crudeltà di Thatcher, a speranza di i naziunali corsi quandu “i Pinzuti anu elettu à François Mitterrand presidente di a so republica”, cum’ellu dice un persunagiu…

Compia issa prima parte (“Ribelli”), aspettemu incù impazienza i dui tomi chì anu da seguità: “Clandestini” è “Guerrieri”.

Un bellu travagliu, à leghje per amparà o per ramintà si.

O simpliciamente per u piacè.

G. G. Talamoni

Libera me, 1. “Ribelli”, DCL éditions, 2012.

Partager cet article
Repost0
28 mai 2012 1 28 /05 /mai /2012 19:14

Marie-Ferranti.png

Revenir à sa manière sur un thème maintes fois visité – ici les relations entre Napoléon et Pozzo di Borgo – constitue un exercice difficile, voire périlleux. Lorsqu’il s’agit d’un personnage susceptible d’être érigé en mythe, la démarche est évidemment séduisante. En utilisant le mot mythe, nous ne faisons pas allusion à Napoléon : le Prométhée corse sur son rocher en est indiscutablement un, mais ce n’est pas le sujet. Au reste, dire de l’Empereur qu’il est un mythe relève d’une évidence telle que la phrase suivante menacerait de sombrer dans la platitude la plus effrayante… Le mythe, ici, c’est Pozzo, ou plutôt la haine tout à la fois violente et patiente qu’il voua à Napoléon : une haine mythique.  L’exploration d’un sentiment d’une telle force relève nécessairement du singulier et de l’universel. Elle nous entraine dans les méandres de la nature humaine mais également dans les profondeurs de l’âme insulaire. Marie Ferranti le montre bien – le titre même de l’ouvrage l’indiquait déjà clairement – la haine de Pozzo est une haine identitaire :  « Que resta-t-il de corse en Pozzo, hormis sa haine ? Un sens politique hors du commun… »[1]Laissons ici cet autre marqueur supposé de la corsité, le sens politique, pour nous concentrer sur le sujet de l’ouvrage. On pense aux fameux vers de Giuseppe Multedo (1810-1894), auteur corse de langue italienne : « T’amo, o terra degli odii tenaci, / T’amo, o terra dei fervidi amor », dont les mots seront repris au siècle suivant – dans un sonnet en langue française – par Paul-Louis Marchetti : « Pays d’ardent amour et de haine tenace / Où le soleil mûrit le fruit et la passion… »[2] La postérité des vers de Multedo – comme, du reste, cet emprunt intertextuel par delà le changement de langue – est sans doute significative de cette haine tenace qu’évoque Marie Ferranti dans son livre… En outre, la formule a l’avantage de nous faire voir fidélité en amour – ou en amitié – et fidélité à la haine, comme deux aspects d’un même fait culturel. Et si Pozzo di Borgo n’a aucune inclination au pardon, c’est un trait qu’il partage avec son ennemi. Madame de Rémusat rapporte à cet égard dans ses Mémoires une anecdote significative. À l’occasion de l’une des soirées de Boulogne (1802-1803), le Premier Consul aurait expliqué qu’il n’avait compris que récemment le dénouement de Cinna, la fameuse clémence d’Auguste, et ce grâce au jeu d’un acteur : « Il prononça le “Soyons amis, Cinna“, d’un ton si habile et rusé, que je compris que cette action n’était que la feinte d’un tyran, et j’ai approuvé comme calcul ce qui me semblait puéril comme sentiment ». Ainsi, un pardon sincère et désintéressé paraissait totalement invraisemblable au futur empereur… De fait, Pozzo, Napoléon, de nombreux autres dirigeants corses, Paoli lui-même, ont peu pardonné dans leurs vies politiques, si ce n’est, comme Auguste (du moins vu par Bonaparte) : par calcul. C’est cette inaptitude au pardon – ou cette constance dans la haine –, que Marie Ferranti traite, avec perspicacité et élégance, dans son ouvrage.

Parfois, l’auteur se demande si Pozzo di Borgo n’a pas exagéré son apport personnel à la chute de Napoléon, lorsqu’il prétend avoir convaincu l’empereur Alexandre de marcher sur Paris : « Au vrai, j’ai été séduite par l’idée que Pozzo avait pu jouer ce rôle et je suis déçue qu’il ne l’ait pas fait ou plutôt de ne pas en être absolument certaine ».[3] Ce scrupule honore Marie Ferranti, mais est-ce là que réside l’essentiel ? Qu’importe l’exactitude historique, si la vérité romanesque nous dit quelque chose de ce que nous sommes réellement ?

 



[1]Marie Ferranti, Une haine de Corse, Gallimard, Paris, 2012, p. 188.

[2]« Retour », in U Muntese, N° 81, maghju 1962, p. 344.

[3]P. 237.

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Jean-Guy Talamoni
  • : Jean-Guy Talamoni est avocat. Président de l'Assemblée de Corse, il a publié deux ouvrages politiques, "Ce que nous sommes" (Ramsay/DCL, 2001) et "Libertà" (2004), ainsi que trois livres sur la langue corse.
  • Contact

Recherche

Archives

Pages

Liens