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11 janvier 2015 7 11 /01 /janvier /2015 16:10
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29 septembre 2013 7 29 /09 /septembre /2013 14:49

Ponte Novu

RÉVOLUTION CORSE ET PENSÉE POLITIQUE  

Jean-Guy Talamoni, Avocat, Docteur de l'Université de Corse

Mardi 1er octobre 2013 à 14h, Spaziu culturale Natale Luciani

Dans son ouvrage Essai sur la Révolution, Hannah Arendt se livre à une comparaison entre la Révolution française (1789-1799) et la Révolution américaine (1775-1783), marquant clairement sa préférence pour la seconde. Selon cet auteur, les différences essentielles seraient les suivantes : la Révolution française aurait été essentiellement fondée sur la notion d’égalité, tandis que la Révolution américaine aurait davantage prôné l’idée de liberté ; autre différence notable, à la différence de la seconde, la première aurait privilégié des notions abstraites et consommé une rupture avec la tradition. Cette analyse d’Hannah Arendt paraît pouvoir être très exactement transposée à la comparaison entre Révolution française et Révolution Corse…

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18 février 2013 1 18 /02 /février /2013 23:03
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22 octobre 2011 6 22 /10 /octobre /2011 12:39

adn.jpg

(Communication prononcée à Corti le 14 octobre 2011 dans le cadre de la commémoration des trente ans de l’Université de Corse)[1]

 

Je débuterai mon propos en évoquant la figure d’Antigone. Si la mythologie antique a pu trouver d’étranges prolongements sur la terre de Corse – n’a-t-on pas identifié Colomba à Electre, Napoléon à Prométhée ? – Antigone occupe une place privilégiée dans notre histoire et notre littérature. À cet égard, le cas le plus significatif est sans conteste celui de Maria Gentile, jeune femme du Nebbiu qui, au XVIIIe siècle, donna une sépulture à son fiancé malgré l’interdiction des autorités militaires françaises. Ce récit, à l’origine de plusieurs œuvres littéraires, pose l’éternel problème de la confrontation entre, d’une part, le droit positif et, de l’autre, les lois non écrites, revêtues d’un caractère sacré… Si certains auteurs ont prétendu que le vrai héros de la tragédie de Sophocle était Créon, défenseur de ce que l’on appelle de nos jours « l’état de droit », la Corse a toujours marqué sa préférence pour Antigone, faisant notamment prévaloir la loi de l’hospitalité sur celle du Code pénal, lequel entend sévèrement réprimer le « recel de malfaiteur ». Les exemples sont nombreux, y compris ces dernières années… Cet état d’esprit – souvent critiqué de l’autre côté de la mer – a fait de la Corse un sanctuaire pour tous les pourchassés, y compris durant les heures sombres que connut l’Europe au milieu du siècle passé. Pour en revenir au problème qui nous occupe, nous observerons que l’inclination insulaire à s’opposer à « la force injuste de la loi », selon la belle formule de François Mitterrand, s’est manifestée par une résistance précoce à la généralisation du fichage ADN. Cette dernière a été opérée en droit français en 2003 : désormais, le fichage ne concernerait plus seulement la délinquance sexuelle mais la quasi-totalité des crimes et délits…

 

Un problème de société

 

L’obsession sécuritaire menace chaque jour davantage les libertés publiques, en Europe et plus largement dans nos sociétés occidentales. C’est une évidence qu’il est difficile de contester lorsque l’on observe les textes qui sont régulièrement votés. En France, la loi « Perben II » en est une illustration particulièrement inquiétante, permettant des atteintes à la vie privée nous plongeant dans le monde décrit par George Orwell dans « 1984 ». C’est précisément à cet ouvrage que faisait allusion en octobre 2003 Madame Evelyne Sire-Marin, présidente du Syndicat de la Magistrature, assimilant le fichage ADN à un « travail de surveillance à la Big Brother ». Car le prélèvement génétique est devenu la nouvelle reine des preuves : lorsque l’on considère que « l’ADN a parlé » – comme on dit désormais – l’affaire est entendue. La charge de la preuve est renversée et l’on oublie que de nombreuses erreurs ont déjà été recensées dans le monde entier (« faux positifs » ou erreurs humaines de manipulation). Même la très modérée Union Syndicale des Magistrats renâcle. En 2003, son président, Dominique Barella, observait : « Il y a un risque de ficher des suspects sur des dénonciations qui se révèleront infondées. On oublie que la police est humaine et peut faire des erreurs » (Le Monde du 22 octobre 2003). Ces réticences n’empêchent pas les autorités publiques de procéder à des opérations globales de fichage. En octobre 2003, un prélèvement a été effectué sur chaque détenu de quatre prisons françaises. L’Observatoire International des Prisons (OIP) a alors dénoncé une « violation frontale de la présomption d’innocence ». Ce type de démarche a été mis en œuvre il y a quelques années aux Etats-Unis. En 1997, le parlement du Massachusetts a voté une loi permettant le fichage de tous les détenus de l’Etat. Certains d’entre eux ont refusé, se retranchant derrière le 4e amendement de la Constitution américaine qui protège notamment les citoyens contre toute intrusion dans leur vie privée. En août 1998, un tribunal de Boston a confirmé le bien fondé de leur position, estimant que le prélèvement génétique sans consentement constituait une violation des droits humains.

 

La Corse comme avant-garde

 

En Corse, dès l’extension du champ d’application de la loi (2003), le mouvement indépendantiste devait appeler tous ceux qui se reconnaissaient dans sa démarche à refuser de se prêter aux prélèvements de matériel génétique. Très rapidement, des militants en position de garde à vue exprimèrent un refus catégorique, expliquant qu’ils estimaient illégitime de ficher des citoyens en raison de leur appartenance politique. Or, la loi française fait de ce refus un délit, ce qui conduisit – et continue à conduire – ces militants devant le tribunal correctionnel. À chaque fois, la défense a plaidé, d’une part, la violation des textes internationaux (notamment de l’article 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme relatif au respect de la vie privée, équivalent du 4e amendement américain) et, d’autre part, celle du droit interne français. En effet, l’article 706-54 du Code de procédure pénale prévoit que le prélèvement peut être demandé s’il existe « des indices graves et concordants » ou bien des « raisons plausibles » permettant de soupçonner la personne considérée d’avoir commis un crime ou un délit. Or, dans certaines de ces espèces, les gardés à vue étaient poursuivis en vertu de commissions rogatoires générales, ne les visant pas nommément, qui auraient pu concerner n’importe quel sympathisant indépendantiste. De plus, ils avaient généralement été remis en liberté sans qu’aucune charge ne soit retenue contre eux. En de telles circonstances, comment l’accusation pouvait-elle prétendre que les conditions légales étaient réunies ? Suivant la défense dans son raisonnement, les tribunaux de Bastia et d’Ajaccio, ainsi que la Cour d’appel, ont relaxé un grand nombre de militants indépendantistes. Cette « jurisprudence corse », désormais ainsi qualifiée par la doctrine[2], a encore été confortée ces derniers mois.

 

Les arrêts de la Cour d’Appel de Bastia du 13 avril 2011

 

La décision de réunir l’ensemble des « affaires ADN » à une même audience de la Cour d’appel – présidée de surcroît par le Premier Président, ce qui n’est guère dans les habitudes –, laissait penser que la plus haute juridiction de Corse voulait donner à sa position un caractère solennel. On connaît dans cette affaire l’acharnement du parquet, lequel relève systématiquement appel de toutes les décisions de relaxe. Aussi, l’enjeu était de taille : soit la Cour confortait le ministère public dans son obstination, soit elle confirmait la fameuse « jurisprudence corse » ayant, depuis plusieurs années, montré l’hostilité des juridictions pénales insulaires à la généralisation des prélèvements ADN.

La réponse a été on ne peut plus claire : dans tous les dossiers où le droit interne français permettait de discuter la légalité de la demande de prélèvement (c’est le cas lorsque cette demande est formulée en garde à vue), la relaxe a été prononcée. Quand à l’affaire des « marins du Paoli », elle était d’une nature différente puisqu’elle concernait une demande de prélèvement après condamnation. Dans un tel cas, le droit interne ne souffre malheureusement pas de discussion et la jurisprudence de la Cour de cassation se refuse à faire prévaloir sur ce dernier l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Si la Cour d’appel n’a pas, dans ce dossier, prononcé la relaxe, elle a toutefois manifesté ses réserves à l’égard de la généralisation des fichages ADN, d’une part en réduisant sensiblement la peine prononcée en première instance, et d’autre part en rappelant dans son arrêt que les faits ayant entraîné la condamnation principale ne s’inscrivaient pas « dans un contexte crapuleux, voire dans un cadre délictuel ordinaire ».[3]

Par cette série de décisions rendues le même jour, la Cour d’appel de Bastia a manifestement voulu exprimer une position de principe, renvoyant au passage le parquet dans les cordes.

 

Perspectives européennes

 

Au moment actuel, plusieurs procédures sont pendantes, tant devant les juridictions internes que devant la Cour européenne des droits de l’homme. D’autres, ayant trouvé récemment leur terme, ne manquent pas d’intérêt.

S’agissant des espèces extérieures à la Corse, notons l’arrêt de la Cour de Cassation en date du 22 juin 2010 concernant les faucheurs volontaires anti-OGM. Cet arrêt a confirmé une décision de relaxe au motif que le délit spécifique nouvellement créé en la matière (2008) n’avait pas été inséré dans l’article 706-55 énumérant les infractions donnant lieu à prélèvement génétique. Faisant mine de considérer cet oubli manifeste du législateur comme une volonté de sa part, et qualifiant au passage de « disproportionné » le recours au prélèvement dans un tel cas, la Cour de Cassation manifeste en fait discrètement son désaccord à l’égard de la généralisation du fichage ADN. Autre affaire à suivre, celle du syndicaliste Xavier Mathieu des « Conti ». Ce dernier a été relaxé le 28 juin 2011 par le tribunal correctionnel de Compiègne pour un refus de se soumettre au prélèvement génétique après une condamnation relative à des activités syndicales, condamnation pour une infraction pourtant prévue par l’article 706-55. Il reste à voir si cette décision, très audacieuse au regard du droit interne, sera confirmée en appel et par la Cour de Cassation dont la position a jusqu’à présent été inverse dans un tel cas de figure…

Pour en revenir aux affaires corses, observons que la Cour de cassation a confirmé par un arrêt du 2 septembre 2009 la position de la Cour d’appel de Bastia, particulièrement restrictive s’agissant de la notion d’« indices graves ou concordants » qui autorise le prélèvement – et sa conservation – dès le stade de la garde à vue (article 706-54, second alinéa). Par ailleurs, plusieurs procédures sont actuellement en cours. L’affaire dite « des marins du Pascal Paoli » a fait l’objet d’un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme. À cette dernière, il est demandé de contredire la Cour de cassation au sujet des demandes de prélèvement ADN après condamnation pour l’une des infractions prévues par la loi (article 706-54, premier alinéa). En effet, la haute juridiction estime qu’un tel prélèvement n’est pas contraire à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

 

De façon générale, dans ces « affaires ADN », le mouvement indépendantiste demeure en première ligne. On observera à titre d’exemple qu’environ un quart de la direction de Corsica Libera a déjà comparu devant une juridiction répressive pour refus de se soumettre à un prélèvement génétique ! Comme nous l’avons vu, les syndicalistes corses ont également été poursuivis pour ce motif.

À travers plusieurs déclarations récentes, le mouvement national, dont l’action a permis le développement de cette « jurisprudence corse », s’est déclaré décidé à poursuivre un combat dépassant largement le cadre de l’île, car visant à défendre les libertés publiques face à une préoccupante dérive sécuritaire.

Quant aux magistrats, leur fonction leur commande – aussi – de garantir les libertés publiques face aux dérives d’un pouvoir politique pervertissant le droit positif.

Pour peu que les juges – notamment européens – n’y soient pas totalement hermétiques, l’esprit d’Antigone pourrait bien nous permettre de briser le cercle vicieux orwelien : « Ils ne se révolteront que lorsqu’ils seront devenus conscients et ils ne pourront devenir conscients qu’après s’être révoltés. »(« 1984 »). 

 



[1] Colloque « Libertés individuelles sous tension : vers une société de surveillance ? », partenariat avec la Ligue des Droits de l’Homme.

[2] Sur la « jurisprudence corse », voir notamment : F.-B. Huyghe, ADN et enquêtes criminelles, PUF, 2008, p. 93.

[3] Arrêt du 13 avril 2011, Chambre des appels correctionnels de la Cour d’appel de Bastia, présidée par Monsieur Philippe Herald, Premier Président.

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7 mai 2011 6 07 /05 /mai /2011 13:57

Ponte-Novu.jpgLe dimanche 8 mai 2010 à Ponte Novu, dans le cadre de la commémoration de la bataille, deux communications seront effectuées (à partir de 15 heures) :

- « Le spectre de la mémoire de Pascal Paoli », par Pierre Bertoncini.
- « La bataille de Ponte Novu dans la littérature corse », par Jean-Guy Talamoni.

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4 février 2009 3 04 /02 /février /2009 18:22

 

 

(Intervention de Jean-Guy Talamoni lors de la « IIe Conférence internationale des nations sans Etat » - Barcelone, novembre 2008)

 

 

 

La lecture quotidienne des journaux et des innombrables ouvrages de politique et de sociologie paraissant chaque mois a de quoi inquiéter, et ce quel que soit le niveau auquel on se situe. « La Corse est en crise. » peut-on lire dans la presse insulaire. « La France qui tombe » nous annonce tel auteur parisien en titre de son livre. « L’Europe est en panne » nous dit-on après l’échec du projet constitutionnel concocté par nos élites technocratiques et politiques. Quant à la planète elle-même, elle n’est pas au mieux de sa forme : entre les effets pervers de la mondialisation, la destruction de la couche d’ozone, le déséquilibre Nord-Sud et le choc annoncé des civilisations… Bref, le « citoyen » - pour utiliser un mot revenu à la mode (presque autant qu’à la fin du XVIIIe siècle !) - a du souci à se faire. Chacun s’accorde à reconnaître que nous sommes au bord de la catastrophe. Pourtant, ceux qui ont le pouvoir de changer les choses poursuivent imperturbablement leur chemin, cramponnés à leurs certitudes, pour les plus honnêtes, et, pour les autres, à ce qu’ils croient être leurs intérêts. Quant au « citoyen », il n’est plus regardé que comme un électeur, voire, ce qui est pire, comme un sondé moyen, un collaborateur non appointé de la SOFRES. Drôle de citoyenneté, dont l’exercice sert exclusivement à dessiner des courbes de popularité aux formes changeantes et souvent inexplicables ! Inexplicables, sauf pour les manipulateurs d’opinion, qui fabriquent à la fois les maux et les prétendus remèdes : le chômage et les chiffres truqués annonçant que le marché de l’emploi se porte déjà mieux, la peur (ou si vous préférez la « frustration sécuritaire ») et les casernes de gardes mobiles censées la guérir… Ces « républiques démagogiques », au fonctionnement pour le moins opaque, sont en fait dirigées par des intérêts économiques régnant sans partage et sans se soucier le moins du monde du suffrage universel. Il est vrai que le sort des urnes n’entame généralement en rien leur influence : quel que soit le vainqueur, il leur sera soumis. Il suffit, pour s’en convaincre, de faire le bilan, plutôt modeste, des changements opérés après la victoire de la gauche française en 1981. Or, les puissances économiques qui, de fait, dirigent  la manœuvre, sont depuis longtemps de dimension supra nationale, ce qui ajoute encore à l’opacité des prises de décision et au caractère fictif de cette « démocratie », dont on nous chante les vertus sur tous les tons, et particulièrement sur celui, précisément, de la « citoyenneté ». Dans cette optique - ou plutôt cette illusion d’optique - celui qui refuse de jouer le jeu devient un mauvais citoyen, voire un terroriste potentiel. Tout ceci n’est possible que par la loi des grands nombres, amie par nature de la « sondocratie », mais ennemie de la démocratie (Athènes, au moment où elle a inventé cette dernière, ne comptait que quelques dizaines de milliers d’électeurs).

Pour le prétendu citoyen, le déficit de démocratie est un problème important, car il le prive de toute influence sur le cours des choses, sur la chose publique (la « res publica »), mais il n’est pas la raison exclusive de son malaise actuel. Comme individu, il vient nécessairement de quelque part : du sud, du nord, d’un terroir, d’un  (ou de plusieurs) « pays » de dimension moins importante que l’état nation dont il est ressortissant. Ses grands parents parlaient souvent une langue « minoritaire », un patois disait-on alors (mais l’on sait qu’une langue n’est « qu’un patois avec son armée »). Ses ascendants avaient un mode de vie spécifique, un rapport intime à leur terre. Dans certaines régions d’Europe, en France et ailleurs, les autochtones ont purement et simplement été chassés par des étrangers fortunés. L’explosion du marché de l’immobilier leur interdit désormais tout accès à la propriété sur la terre de leurs ancêtres. Avoir dû renoncer à cet héritage matériel et immatériel ne peut être indolore pour les générations suivantes. D’où la soif actuelle d’enracinement, révélée par la mode des arbres généalogiques, arbres dont les anciens n’avaient pas besoin pour sentir la profondeur de leurs racines. D’où le besoin forcené d’appartenir à un groupe, qu’il s’agisse d’un club de supporters, ce qui est encore assez sain, ou d’une secte, ce qui l’est moins. D’où l’importance démesurée faite à certaines appartenances, respectables mais secondaires. Lorsqu’une association de chasseurs devient un parti politique et se présente aux élections, ne s’agit-il pas d’un phénomène révélant une situation pathologique ? Ne faut-il pas se sentir menacé dans son mode de vie, pour en arriver à faire prévaloir la qualité de chasseur sur toute appartenance réellement politique, lors d’un scrutin ?

Autre élément de la crise actuelle : l’incapacité à accueillir l’autre, notamment révélé, en France, par la crise des banlieues. On sait que la force de sa propre identité est un vecteur essentiel d’intégration des étrangers. Les sociologues prennent souvent l’exemple de cette Catalogne qui a, au XXe siècle, « fabriqué » des millions de Catalans. Ils soulignent, Edgar Morin notamment, que cela n’a été possible que par la vigueur linguistique et culturelle de ce pays.

À cette crise polymorphe, l’Europe aurait pu être une solution, si elle n’avait pas été mise entre les mains des Etats constitués et de la finance internationale. Se rendant compte de cette erreur, l’un des pères fondateurs des institutions communautaires, Jean Monnet, n’a-t-il pas déclaré qu’il aurait mieux valu commencer par la culture ? Toujours est-il que l’Union actuelle est aux antipodes d’une Europe des peuples.

Tout espoir de redresser la barre est-il irrémédiablement perdu ? Peut-être pas, si un phénomène observé depuis quelques temps se confirme : on assiste au réveil de vieilles nations qui pourraient bien, demain, se constituer en nouvelles républiques : la Catalogne, l’Irlande, l’Ecosse, Euskadi, la Corse… Ces républiques en devenir constitueront peut-être, par leurs dimensions raisonnables et la force de leurs identités, une réponse à la crise que nous venons d’évoquer. Elles permettront sans doute aux peuples et aux individus qui les composent, par le respect de leur art de vivre et de leur façon de participer au monde, de mieux se positionner face aux défis du troisième millénaire. À contre courant d’une mondialisation inhumaine et uniformisatrice, elles serviront le vieux projet hégélien : accéder à l’universel par l’approfondissement du singulier. Mais leur avènement suppose de satisfaire deux préalables : d’une part, la résolution – par la recherche d’une paix juste et durable – des conflits actuellement en cours, d’autre part l’acceptation par les actuels états nations d’une remise en question de leurs organisations et de leurs prérogatives, processus pouvant conduire à l’Europe des peuples.

 

 

                                      *                                 *

 

                                                                 *        

 

 

 

Rappel historique 

 

-         Le poids de l’idéologie et des idées reçues :

Ces derniers siècles, on a assisté à l’organisation de grands ensembles européens (Espagne, France, Italie…) avec leurs prolongements coloniaux. Ces unifications et annexions se sont faites en dépréciant la valeur des cultures « minoritaires » et celles des peuples colonisés. En France par exemple, on observe le même discours s’agissant des spécificités linguistiques et culturelles « internes » ou des peuples africains. Les révolutionnaires français qualifient d’arriérées les langues et coutumes « régionales » et se proposent tout à fait explicitement de les détruire (Cf. Abbé Grégoire). La colonisation se prévaudra bientôt des mêmes vertus « civilisatrices » (Cf. Jules Ferry).

 

-         Les institutions : 

Les états nations européens n’ont pas à cet égard la même histoire et donc la même organisation. Le degré de décentralisation des « länder » allemands ou des « généralités » espagnoles n’a rien de comparable avec celui des régions françaises. Quant aux départements, ils ont été, pendant la période révolutionnaire, l’instrument du dépeçage des provinces et donc de la destruction des cultures locales. D’où leur découpage délibérément arbitraire. Mais l’on observe ailleurs qu’en France des démarches comparables d’anéantissement programmé des cultures « minoritaires » (répression linguistique en Euskadi et en Catalogne, notamment sous Franco).  

 

 

Le constat actuel 

 

Aujourd’hui, les dégâts faits aux cultures des minorités et des peuples colonisés sont considérables, et parfois irréversibles. D’autant que l’état d’esprit dépréciatif à leur égard s’est maintenu, bien que de façon moins ouverte, plus insidieuse. Malgré l’adoption, il y a une centaine d’années, du principe de la relativité culturelle (on ne juge pas un système de valeurs à partir des critères d’un autre système de valeurs), cet état d’esprit a perduré, notamment en France, et la vague de décolonisations intervenue depuis ne l’a pas complètement éradiqué. Nous en voulons pour preuve les tentations récurrentes de réhabilitation de la colonisation. Parallèlement, on tient le même discours à Paris s’agissant de la Corse : « Qu’auraient-ils fait sans la France ? ».

Il faut ajouter à cela la domination actuelle du Nord de l’Europe sur le Sud, qui tend à dévaloriser systématiquement ce dernier (« efficacité » parisienne opposée à la « nonchalance » méridionale…).

 

La France, ses régions et ses dernières colonies 

 

Le système jacobin et départementaliste est aujourd’hui de plus en plus contesté, y compris au sein de l’intelligentsia parisienne. Il est d’ailleurs radicalement incompatible avec la construction européenne.

L’échec du mode d’intégration à la française a été largement démontré par les crises des banlieues.

Ce qui est perçu comme une insupportable arrogance parisienne est mal vécu par certaines régions peu suspectes de velléités sécessionnistes. Ainsi, les provençaux affirment subir une véritable « colonisation » parisienne. Le TGV a permis à de nombreux habitants de l’Île-de-France d’acquérir, à prix d’or, des résidences secondaires dans la région. La situation actuelle du marché de l’immobilier rend difficile pour les autochtones l’accession à la propriété. Le mode de vie local est dévalorisé, au nom de la prétendue efficacité économique. Dans certaines entreprises ou succursales (basées à Marseille !), l’accent méridional - qui, paraît-il, ferait mauvais effet - est devenu un handicap pour occuper certains postes (contacts téléphoniques avec le public)…

La Bretagne, l’Alsace, et d’autres pays à forte spécificité culturelle réclament des dispositifs en faveur, notamment, de leurs langues.

Le Pays Basque nord a aujourd’hui clairement rejoint le sud (sous contrôle espagnol) dans ses revendications culturelles et politiques. S’agissant des pays sous domination française mais se situant en dehors de l’hexagone (Antilles, Guyane, Kanaky, Polynésie, Corse…) des démarches de dialogue ont parfois été tentées, mais la situation demeure souvent tendue.

Au total, c’est la globalité du système français qui est aujourd’hui remis en cause par les intellectuels ou les politiques les plus clairvoyants.

 

 

Le réveil des vieilles nations

 

Au sein de plusieurs peuples européens, de fortes tendances se dégagent pour exiger la reconnaissance de leur droits nationaux et manifester leur volonté de se constituer en Républiques : Irlande, Euskadi, Ecosse, Corse, Catalogne… L’exemple de ce dernier pays est particulièrement intéressant puisque les indépendantistes républicains catalans gouvernent actuellement les institutions locales. En Ecosse, les indépendantistes dirigent le gouvernement. En Irlande, les républicains luttent depuis une centaine d’année pour la liberté et l’unité de leur pays. Ils ont enfin accédé aux responsabilités. En Corse, le courant républicain (indépendantistes du nouveau mouvement unifié Corsica Libera) a un poids important dans le paysage politique.

 

Les abcès de fixation : Kanaky, Irlande, Euskadi, Corse…

 

-         Réflexion sur la notion de terrorisme.

Le mot « terrorisme » recouvre, on le sait, des réalités fort différentes. Pourtant, il existe aujourd’hui à cet égard une communication globalisante (la presse quotidienne utilise abondamment ce vocable dans les situations les plus diverses) et, ce qui est plus grave, une politique – notamment judiciaire – assimilant des faits n’ayant rien de comparable (exemple de la législation française dite « anti-terroriste » s’appliquant de la même façon à « Al Qaïda » et aux clandestins corses !).

Le caractère éminemment subjectif du concept de « terroriste » n’est pas sans rappeler celui de « rebelle » au XVIIIe siècle. Il n’avait pas à l’époque, tant s’en faut, la connotation plutôt positive qu’on lui connaît aujourd’hui. En Corse, par exemple, Gênes appelait « rebelles » les nationaux corses de Pasquale Paoli ayant chassé les Génois et pris le pouvoir dans l’île. Quant à Paoli, il désignait par ce même terme les Corses favorables au retour de Gênes !

Le philosophe Jacques Derrida rappelait (Le Monde diplomatique de février 2003)  que  « l’histoire politique du mot terrorisme dérive largement de la référence à la Terreur révolutionnaire française, qui fut exercée au nom de l’Etat et qui supposait justement le monopole légal de la violence. » Ironie de l’histoire : ce sont aujourd’hui les opposants à l’idéologie révolutionnaire jacobine qui sont qualifiés de terroristes !

En tout état de cause, chacun sait que jamais les vainqueurs ne furent considérés par l’histoire comme des terroristes. Par ailleurs, ce n’est pas la forme de leur lutte mais son issue qui a valu à certains combattants le titre envié de « résistants ». Vae victis…

 

-         La Kanaky :

Depuis les « accords de Matignon », la lutte pour l’émancipation nationale et sociale se poursuit, en attendant le référendum sur l’indépendance…

-         L’Irlande :

De l’accord « du Vendredi saint » à aujourd’hui, que de chemin parcouru !

-         Euskadi :

Une situation difficile, pour l’heure.

     -    La Corse :

Après l’espoir suscité par le « processus de Matignon » ouvert par Lionel Jospin, la situation paraît à présent totalement bloquée. Mais chacun sait qu’il n’y a aucune chance de sortir du conflit sans une phase de dialogue, puis de négociation. Cette perspective ne semble pas se dessiner à l’heure actuelle. Il faut pourtant avoir à l’esprit que tôt ou tard ce sera le cas. Et s’y préparer, tout en poursuivant nos luttes avec détermination…

 

Une « ingénierie de la Paix » 

 

En août 1998, à Helsinki et aux îles Ǻland, eut lieu un colloque organisé par le Centre européen des questions de minorités. À cette occasion, de nombreux universitaires et responsables politiques se sont penchés sur les méthodes susceptibles de conduire à la construction de la paix. Les questions irlandaise et corse furent largement au centre des débats, mais les principes dégagés à cette occasion sont d’application générale, même s’ils ne sauraient être confondus avec une baguette magique. Cette « ingénierie de la paix » s’est enrichie depuis, grâce aux progrès réalisés dans l’apaisement de nombreuses crises, en Europe et ailleurs. Puisse-t-elle permettre, dans un délai rapproché, de sortir par le haut des conflits existant encore. 

 

Vers un nouvel équilibre 

 

À quoi pourrait ressembler l’Europe de demain si elle faisait une place à ces vieilles nations ayant enfin accédé au statut de république ? Quelle serait la vie de leurs citoyens ? En quoi le rôle de l’Europe dans le monde serait-il modifié ? 

L’évolution récente des Balkans (accession du Monténégro à l’indépendance, cas du Kosovo…) et la création de petits états qui en est résultée, a fait dire à certains intellectuels parisiens que l’état nation « à la française » était condamné… Si cette hypothèse se confirmait dans l’avenir, on devrait se réjouir de voir disparaître une construction artificielle pour faire place à un ensemble d’entités culturelles et politiques cohérentes : les « nouvelles républiques ». Telle pourrait être la première étape dans la réalisation de l’Europe des peuples que nous appelons de nos vœux.

 

 

                                                                _____________           
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24 janvier 2009 6 24 /01 /janvier /2009 15:15

 

La langue, a-t-on l’habitude de dire en Corse, est le sanctuaire de l’identité. Elle recèle ce que nous sommes au plus profond de nous-mêmes, notre inconscient collectif, notre façon de participer au monde. Les expressions idiomatiques constituent la part la plus spécifique de la langue. Ceci est également vrai pour celles qui proviennent de l’extérieur : elles sont adaptées au terrain, à l’identité qui les accueille, tout comme les êtres humains qui, venus d’ailleurs, ont été intégrés à la communauté. Ces expressions permettent d’accéder au cœur même de l’âme d’un peuple. Dans le cas de la Corse, l’étude de ces éléments révèle bien évidemment notre conception des rapports humains (solidarité familiale et amicale, rôle de la femme…), la place de la religion et du spirituel dans notre société, celle des compétitions et conflits politiques, etc. Les locutions rendent compte des évolutions de la situation de notre peuple à travers les âges : mythe des armes et de la guerre, que ce soit dans le champ public (luttes contre les différents envahisseurs) ou privé (vendetta) ; culture du départ et de l’exil, puis du retour… Elles traduisent un état d’esprit, une forme d’humour. On note par exemple le nombre de formules d’ironie antiphrastiques : « Custì, ci hè u ghjudiziu ! » (Là, il y a du bon sens !), ce qui signifie en fait que la personne en question en est totalement dépourvue. La langue peut également parler d’elle-même, mais aussi des autres langues : « L’affari sò in francese ! » (Les affaires sont en français !), ce qui veut dire que l’on s’attend à quelque malheur. Cette expression provient des proclamations militaires menaçantes, jadis affichées sur la place du village et qui étaient écrites en français. Comme on le voit, la langue garde la mémoire de l’histoire, même si souvent le locuteur ne connaît plus l’origine de l’expression qu’il emploie.

Parce qu’elle fait le lien - notamment à travers les trésors idiomatiques que constituent locutions et proverbes - entre l’homme, la terre, la culture et l’histoire, entre les vivants et les morts, on voit bien que la langue n’est pas un simple moyen de communication, mais la condition sine qua non de l’existence d’un peuple. Comme on le dit en Corse : « Morta a lingua, mortu u populu. » (Morte la langue, mort le peuple.)

Traduire en catalan un livre corse n’est pas seulement un honneur fait à son auteur. Ce n’est pas uniquement l’effet de l’amitié, profonde et ancienne, existant entre nos deux communautés nationales. C’est aussi l’expression de cette parenté linguistique et culturelle unissant les peuples de la Méditerranée. Comment mieux exprimer ces liens ancestraux qu’en réalisant cette « transcription », au sens musical du terme, c’est-à-dire en changeant d’instrument. Nous nous risquerons donc, à notre tour, à traduire en langue corse quelques vers du poète et musicien catalan Luis Illach :

Campane à murtoriu

                     

E campane à murtoriu

tiranu un mughju di guerra

per i trè figlioli persi

e trè campane nere.

 

E u populu s’arricoglia

chì u lamentu s’avvicina ;

e sò dinù trè dulori

chè no teneremu à mente.

 

E campane à murtoriu

per isse trè boche chjose ;

maladettu sia u pueta

chì ‘sse note ùn canterebbe !

 

Quale hè chì di ‘ssi zitelli

hà toltu li fiati lindi

chì d’altru tesoru ùn avianu

chè l’amore di i soi ?

 

(…)

 

A miseria diventò pueta,

i sò versi nant’à i prati

anu l’aspettu di e fosse,

è l’omi ci so andati.

Ognunu fù una parolla

di a puesia vitturiosa.

 

 

 

 

 

 

 

 

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24 janvier 2009 6 24 /01 /janvier /2009 14:42

 

SKOL-VEUR YAOUANKIZ BREIZH

INTERVENTION DE JEAN-GUY TALAMONI (Extraits)

 

 

                 

AUTOUR DE L’IDENTITE

 

Comme le rappelle Amin Maalouf, chaque individu a sa propre identité, faite d’appartenances multiples. On peut se sentir à la fois partie prenante d’un peuple, comme le peuple corse, d’une entité politique en devenir, l’Europe, d’une religion, d’une catégorie sociale, d’une communauté villageoise et de bien d’autres ensembles, géographiques, spirituels, associatifs…  Lorsque l’on a le sentiment que l’une de ces appartenances est méprisée ou menacée, on réagit, en l’affirmant de façon énergique et parfois même violente ou inappropriée. Lorsque sa langue est minorée, sa mentalité ou sa couleur de peau stigmatisée, sa religion brimée ou encore sa condition sociale dévalorisée, l’individu se rebelle. Lorsque l’on est plusieurs à ressentir une frustration identitaire, une solidarité se forme et la réaction devient collective. Cela va très loin et concerne des appartenances qui peuvent sembler mineures par rapport à la communauté nationale ou la religion : quand les chasseurs se sentent menacés dans leur « appartenance », ils réagissent comme chasseurs, et parfois même au point de mettre de coté d’autres appartenances, de nature politique ou sociale. C’est ce qui se passe lorsque se forment des listes de chasseurs pour les élections, et qu’elles obtiennent des voix ! Ce genre de phénomènes révèle à l’évidence un déséquilibre, un défaut d’harmonie entre les diverses appartenances. Lorsque c’est une appartenance aussi essentielle que celle à une communauté culturelle, historique ou nationale qui est en cause, les dégâts sont considérables et la réaction à la hauteur des enjeux… 

(…)

                                                                                

La question de la survie du peuple corse se pose à l’évidence. Bien sûr, il y aura toujours des habitants de la Corse, mais un peuple sur sa terre, parlant sa langue et vivant sa culture, c’est moins évident. La langue corse est menacée de mort, or on sait qu’une langue porte les valeurs d’une société. Pourra-t-on encore parler de peuple corse quand notre langue aura disparu ? Par ailleurs, la vente de notre terre à des non Corses s’accélère actuellement. Compte tenu de l’importance du rapport à la terre dans notre culture, pourra-t-on encore parler de peuple corse lorsque nous serons totalement dépossédés à cet égard ? Valéry nous rappelle que les civilisations sont mortelles. Certains ne s’en émeuvent pas. Lors d’un débat sur une chaîne de télévision française, un soit-disant « artiste » me lançait : « Qu’est ce que ça veut dire l’identité ? Moi, ça ne me dérange pas si demain on parle tous anglais et qu’on mange tous la même chose ! » Curieux propos, surtout pour un artiste. C’est le degré zéro de la réflexion. Beaucoup plus aiguisé, le discours d’un magistrat qui me disait il y a quelques années : « Oui, le peuple corse peut disparaître. Et alors ? Rome s’est imposé à la Gaule, qui a disparu en tant qu’entité culturelle et politique. Puis un jour, l’Empire romain fut dirigé par un grand chef d’Etat dont la lignée était d’origine nîmoise : Marc Aurèle… » C’est un point de vue qui n’a rien d’absurde, mais que je ne partage pas. Il a au moins le mérite de poser le problème franchement : allons nous accepter de disparaître, de perdre notre langue, notre art de vivre, notre façon d’être présent au monde, pour nous fondre dans des ensembles plus vastes et uniformes ?

(…)

 

Car aujourd’hui, toutes les identités sont menacées de disparition. L’historien britannique Arnold Toynbee résume le parcours de l’humanité en trois phases : pendant la préhistoire, les moyens de communication étaient lents, mais l’évolution des sociétés humaines était plus lente encore. Chaque nouveauté avait le temps de se propager avant que la suivante n’apparaisse. Les communautés présentaient donc beaucoup de caractéristiques communes. Pendant la seconde phase, historique celle là, les progrès de la connaissance furent beaucoup plus rapides que leur propagation et les civilisations avaient tendance à se différencier de plus en plus. Avec la troisième phase, la plus récente, le développement des connaissances s’est accéléré mais la communication a progressé bien davantage. Résultat : les sociétés humaines se rapprochent et tendent à l’indifférenciation. Arnold Toynbee est décédé dans les années 1970. Il n’a pas connu internet. La tendance à l’uniformisation est aujourd’hui plus lourde encore. Ca, tout le monde peut le constater, mais ce qu’il faut comprendre, c’est que ce processus a un caractère mécanique et qu’il n’y a aucune chance pour que la tendance s’inverse sans une volonté politique forte et partagée à l’échelle planétaire.

(…)

 

Il y a un combat à livrer pour le maintien de la diversité, pour la préservation de la richesse culturelle de l’humanité. Dans ce combat, l’avant garde est constituée par les luttes identitaires, par ces foyers de résistance dont parle le sous-commandant Marcos. Ceux qui fustigent à tout bout de champ les « crispations identitaires » sont bien souvent ceux qui militent pour l’uniformisation, à savoir les promoteurs du nouvel ordre mondial, les défenseurs de la globalisation telle qu’elle se présente aujourd’hui. Ce sont aussi ceux à qui bénéficie cette évolution. Le pari essentiel des alter-mondialistes doit être de faire reconnaître la justesse de leur effort. Il faut faire comprendre au plus grand nombre que l’on peut à la fois accepter et privilégier les aspects positifs de la mondialisation, par exemple les progrès de la communication en matière médicale, tout en refusant résolument un monde uniforme. Dans l’avenir que l’on nous prépare, les peuples qui auront su résister et demeurer eux-mêmes seront avantagés par rapport aux autres, y compris sur le plan économique… Une forte identité sera demain un atout majeur dont beaucoup ne disposeront plus. 

 

LE SINGULIER ET L’UNIVERSEL

 

La crispation identitaire existe chez ceux qui pensent que leur appartenance culturelle ou religieuse est supérieure aux autres et qui veulent les imposer à tous, ceux qui se livrent aux nettoyages ethniques, ceux qui lancent des avions sur les tours de Manhattan... Les maîtres du monde eux-mêmes ont créé une identité et veulent l’imposer à travers leurs armes, leur « G8 », leurs banques, leurs « cultures d’entreprise », leurs conseils d’administration où l’on parle forcément anglais, même à Paris… En revanche, comment parler de « crispation identitaire » pour ceux qui demandent simplement à parler leur langue sur leur terre, à participer au monde selon leur culture ? 
(…)
Est-ce que l’on peut sérieusement imaginer que des milliards d’êtres humains vont renoncer sans sourciller à être ce qu’ils sont ? Autrefois, on expliquait aux colonisés qu’ils devaient se soumettre au nom de la civilisation. Depuis déjà un siècle, il est admis, à travers le « relativisme culturel », qu’un système de valeurs ne peut être jugé à partir d’un autre système de valeurs, et qu’il n’y a pas de hiérarchie entre les cultures. Comment pourrait-on nous convaincre d’acquiescer à l’idée de notre disparition collective ? Certainement pas au nom de valeurs universelles, tant que nous garderons en mémoire ces quelques mots de Hegel qui furent longtemps médités par Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor : « Ce n’est pas par la négation du singulier que l’on va vers l’universel, c’est par son approfondissement. »

 

DU « NATIONALISME » AU « PATRIOTISME NATIONAL »

 

J’ai eu, il y a quelques temps, un échange à ce sujet avec le philosophe Michel Onfray, dont on connaît les positions hostiles à l’idée de « nationalisme ». Je l’ai entendu décrire un nationalisme arrogant, méprisant les autres, portant des valeurs d’exclusion, de xénophobie, sur le modèle du Front National. Je lui ai expliqué que ce « nationalisme » nous faisait horreur tout autant qu’à lui et que l’utilisation que nous faisions du mot « nationalisme » était une référence à l’histoire, aux nationaux corses du XVIIIe siècle qui luttèrent pour construire une démocratie à l’époque où les autres européens vivaient sous le joug de monarques de droit divin. Je crois, à en juger par sa réponse, que le message a été bien compris. Il a évoqué la nécessité de « décaper les mots », pour éviter les malentendus. Et il est vrai qu’il y a souvent une difficulté de communication à ce sujet, non pas tellement en Corse, où nos idées sont connues, mais à Paris où le concept de « nationalisme » est associé à …d’inquiétants personnages. En revanche, ailleurs qu’en France, la difficulté ne se pose généralement pas. Le mot nationalisme peut évoquer les forces nationales africaines, qui arrachèrent la décolonisation, l’ANC sud-africain, l’AZLN des Chiappas… Ces références nous paraissent plutôt positives. En tout état de cause, je pense que ce débat est dépassé, car le mouvement patriotique corse est, depuis quelques années, en train de passer à une nouvelle phase : dans les années soixante et soixante-dix, la nation corse avait pratiquement disparu. Son existence même n’était plus admise que par une infime partie du peuple : ceux que l’on appelait « les nationalistes ». Il s’agissait alors de remettre à l’ordre du jour l’idée même de nation corse. En quelques décennies, les choses ont considérablement changé en termes de prise de conscience. Les formations politiques revendiquant clairement les droits nationaux du peuple corse obtiennent aujourd’hui un fort soutien, y compris au plan électoral. Les autres courants politiques reprennent souvent leurs idées (langue corse, économie identitaire, évolution institutionnelle, etc.). Nous sommes donc passés d’une phase défensive de préservation de l’essentiel à une phase offensive : il s’agit à présent de réhabiliter une nation dont la réalité n’est plus sérieusement contestable. À mon avis – il s’agit là d’une approche personnelle – le suffixe « isme » n’est plus vraiment adéquat. La lutte patriotique corse est passée d’une ère « nationaliste » à une « ère nationale ». Cela ne veut pas dire que cette lutte soit terminée. Au XVIIIe siècle, notre nation était reconnue par tous, y compris par ceux qui lui faisaient la guerre. Le roi de France parlait de « nation corse ». Les patriotes d’alors n’étaient pas appelés « nationalistes » mais « nationaux ». Je pense que nous sommes à présent dans une situation comparable et que nous pouvons nous présenter comme des militants nationaux. D’ailleurs, cette terminologie s’est progressivement imposée ces dernières années, y compris dans le choix des noms d’organisations : « A Cuncolta Naziunalista » est devenue « Cuncolta Indipendentista » avant de se fondre dans « Indipendenza ». La démarche d’union n’a pas été baptisée « Unione Naziunalista » mais « Unione Naziunale ». C’est significatif.

On continuera sans doute – par réflexe ou par commodité de langage – à utiliser le mot « nationalisme » dans les temps à venir. Mais je crois sincèrement que la situation corse a beaucoup évolué, précisément parce que cette phase « nationaliste » a fait avancer les choses et a été globalement menée à bien. Il faut à présent nous montrer sûrs de nous face à l’Europe et au monde, et nous installer avec détermination dans cette phase nationale, comme nos prédécesseurs, les nationaux de la Corse paolienne.

(…)

                             

Quant aux Corses qui ne se reconnaissent pas dans la nation, ils ne peuvent évidemment pas en être exclus, et sont donc eux aussi - sans le vouloir - des « nationaux », même s’il ne sont pas des « militants nationaux ». Le fait de ne pas être - pour l’heure - partie prenante du patriotisme national, ne saurait les priver de leur nationalité corse. Sauf si, le moment venu, ils choisissaient eux-mêmes de renier leur peuple et leur pays, ce qui ne sera certainement le cas que d’un petit nombre d’entre eux.     

(…)

 

DROIT NATUREL ET DROITS UNIVERSELS

 

Ce qui légitime la lutte nationale corse, c’est un principe de droit naturel : celui qui autorise un peuple à pourvoir à sa propre conservation. Or ce droit naturel est évidemment supérieur au droit d’un souverain sur ses sujets ou d’un gouvernement sur les citoyens. Car il ne s’agit dans ce dernier cas que d’une disposition du droit positif institué par les hommes. Cette idée a d’ailleurs été mise en avant par les nationaux corses du XVIIIe siècle en lutte contre la république de Gênes, reprenant à cet égard la pensée de l’école du droit naturel, notamment celle de Grotius et de Pufendorf. L’argument demeure pertinent, d’autant que plus personne de sérieux ne conteste aujourd’hui que nous sommes un peuple, pas même à Paris.

(…)

 

Par ailleurs, il me paraît difficile de nier l’existence d’une nationalité corse, et ce, que l’on se réfère à la pensée philosophique française faisant de la nationalité un contrat de libre volonté ou bien à la conception allemande, fondant plutôt la nationalité sur l’histoire et la langue communes. Quelle que soit l’approche adoptée, il est impossible de ne pas reconnaître que notre communauté est une communauté nationale.

(…)

 

Conformément au « principe des nationalités », dont la validité est reconnue en Europe depuis le XVIIIe siècle, notre nationalité de fait doit conduire à une nationalité de droit, avec son corollaire : l’exercice de l’autodétermination. La Corse est une nation de droit naturel. Il faut qu’elle soit reconnue par le droit positif.

(…)

 

S’agissant des autres identités menacées, il ne m’appartient pas de dire quel peuple peut prétendre devenir une nation souveraine. Mais il est évident que l’énergie avec laquelle s’est manifestée la revendication nationale corse sur tous les terrains de lutte - les sacrifices consentis, les suffrages recueillis aux élections, etc. - a grandement contribué à la légitimité de cette revendication. Il n’en irait évidemment pas de même s’il n’existait pas de problème politique corse, si - depuis les années 1960 - nous étions demeurés exclusivement sur les plans culturel et économique… Sans la lutte nationale corse, il n’y aurait pas eu de statut particulier, de réouverture de l’Université de Corti… Il n’y aurait pas eu les différentes tentatives de dialogue de ces dernières années… Seules les petites nations qui se défendent gagnent leur droit à l’existence. Tomáš Masaryk, qui fut l’artisan de l’indépendance tchécoslovaque, a clairement affirmé cette réalité en disant que pour qu’une nation ait le droit d’exister il y a une seule condition à remplir, à la fois nécessaire et suffisante : qu’elle le veuille et qu’elle prouve cette volonté par ses progrès, ses protestations et ses efforts. Outre l’existence d’une communauté historique et de destin, d’une culture et d’une langue commune, la Corse a une autre bonne raison de se prétendre nation : la lutte de ces dernières décennies et son enracinement dans le peuple. Le rapport de forces politique constitue un argument décisif.

 

 

LA LANGUE CORSE

 

La langue est le « sanctuaire de l’identité ». Lorsque l’on dit « Morta a lingua, mortu u populu », ce n’est pas seulement un slogan. Il ne peut y avoir de peuple corse sans langue corse. Ceux qui, à Paris, rêvent de faire de nous « des Français comme les autres » le savent bien. Ce n’est pas pour rien qu’ils ont créé les conditions de la disparition de notre langue et qu’ils se refusent obstinément - au delà des dispositifs alibis - à faire en sorte d’inverser la tendance. Et, malgré la prise de conscience de ces dernières décennies, la langue continue à reculer.

Pour nous, il ne s’agit pas seulement de « faire survivre », mais de développer la langue corse, et de lui rendre sa place naturelle sur la terre de Corse, place qui lui a été retirée méthodiquement par l’Administration française, notamment l’Education nationale. Il existe des dispositifs pour « ranimer » une langue en difficulté, qui ont été appliqués avec succès, par exemple en Catalogne sud, au Québec, au Pays de Galles… Il s’agit de l’enseignement obligatoire, de l’officialisation, de l’utilisation massive dans l’audiovisuel…

L’enjeu est fondamental, car il est impossible d’imaginer que le peuple corse puisse survivre à la disparition de sa langue. Ce que je suis en train de dire n’a rien d’original ou de nouveau. Pendant la Révolution française, une offensive a été menée, au nom de la civilisation, contre ce que l’on appelait les « patois » et que l’on se proposait tout simplement de détruire. Dans son ouvrage « L’homme de paroles », Claude Hagège rappelle la réaction d’un « écologiste de la langue » de l’époque, Charles Nodier. Ce dernier s’indignait en ces termes : « Quand on est venu à de pareilles théories, il faut avoir au moins l’affreux courage d’en adopter les conséquences. Il faut anéantir les villages avec le feu ; il faut exterminer les habitants avec le fer. » C’était une autre façon de dire « Morta a lingua, mortu u populu. » !

(…)

 

On entend souvent dire : « La langue, il faut l’apprendre à la maison. » Il s’agit du type même de l’argument spécieux. J’ai eu personnellement la chance d’apprendre le Corse à la maison, puis dans les rues de Bastia. Seulement voilà : bien que je ne sois pas encore très âgé, les choses ont beaucoup changé depuis mon enfance. Aujourd’hui, dans trop de familles, il n’y a pas un seul adulte corsophone. Dans les cours des collèges, on parle souvent un curieux français parsemé de corsicismes. Alors, dire aux parents de faire un effort ? Pourquoi pas ? Ca ne peut pas faire de mal. Mais il est assez douteux que l’on puisse résoudre le problème en faisant appel à la bonne volonté de tous. Dans le même genre de rhétorique, je pourrais vous dire que pour résoudre les problèmes de délinquance, il suffirait de demander aux gens d’être gentils et honnêtes ! Ce serait pratique, on n’aurait plus besoin de police ! Redevenons sérieux : la décision de déraciner la langue corse a été prise, il y a fort longtemps, au niveau politique, et ce sont bien des moyens politiques qui ont été mis en œuvre à cet effet. C’est donc bien au niveau du pouvoir politique que les choses doivent à présent se passer pour sauver la langue. Le volontarisme et le militantisme de quelques uns, bien qu’utile, a malheureusement trouvé ses limites.   

(…)

 

Dans le monde entier, on reconnaît aujourd’hui la valeur des cultures populaires et des merveilles que les langues ont forgées. Elles révèlent l’âme des pays, des peuples. En Catalogne sud, le gouvernement local a beaucoup investi pour la langue et la culture catalane. Il existe des quantités de recueils, de dictionnaires de proverbes et de locutions. En Italie, toutes les régions ont produit des ouvrages de même nature. Des auteurs de premier plan se sont penchés sur ces éléments idiomatiques et culturels irremplaçables. Je pourrais citer Andrea Camilleri qui, dans « Il Gioco della mosca », présente de savoureuses expressions siciliennes, ou encore Italo Calvino dont le recueil de contes italiens, parfois, n’est pas sans rappeler « E Fole di Mamma » de Ghjuvan Ghjaseppiu Franchi.  En Corse, des écrivains, des étudiants, des chercheurs travaillent en ce sens. Mais tout cela ne suffira pas si cet effort n’est pas accompagné de mesures drastiques prises au plan politique en faveur de la langue. A moins que l’on se contente de faire de celle-ci une somptueuse pièce de musée…

(…)

 

Aujourd’hui, de nombreux Corses travaillent pour la langue. Certes, la chanson et les groupes culturels sont très présents, mais il y a aussi des poètes, des romanciers, un théâtre en langue corse. Il existe déjà plus d’une dizaine de dictionnaires et d’autres sont actuellement en cours d’élaboration. Je fais partie depuis douze ans du jury du « Prix de Corse » et je constate que la production est importante et - globalement - d’excellente qualité. Mais ce sont les institutions qui ne suivent pas le mouvement, alors qu’en principe elles devraient l’impulser… Lorsque l’on compare ce qui est fait chez nous à la politique qui a été menée en Catalogne par le gouvernement de Jordi Pujol, et par celui qui est aujourd’hui en place et auquel participent les indépendantistes catalans, même en tenant compte de la différence de population et de richesse, on voit bien où le bât blesse. Notre groupe a proposé la création d’un ministère de la culture et d’un office de la langue corse, mais apparemment, les autres sensibilités de l’Assemblée ne font pas de la culture une priorité. Nous avons cependant obtenu récemment la création d’un Conseil de la langue et de la culture corse qui suscite de nombreux espoirs… 

(…)

 

Il faut prendre exemple sur ceux qui ont réussi. Au Québec, la langue française était plus que menacée. Les immigrés de différentes origines, particulièrement nombreux dans le pays, étaient massivement orientés vers les écoles anglophones. Les francophones étaient en voie de marginalisation. En 1976 a été promulguée la « loi 101 » qui a changé la donne. Aujourd’hui, l’enseignement obligatoire du français, son officialisation, la francisation de l’Administration et des entreprises ont porté leurs fruits. Les premières générations de jeunes gens formés sous l’empire de la « loi 101 » sont dans la vie active. L’usage de la langue française est devenu vecteur de promotion sociale et les mesures d’évaluation effectuées prouvent que la démarche a déjà réussi. Et pas seulement sur le plan linguistique : j’ai demandé au secrétaire général du « Conseil supérieur de la langue française » si - à son avis - les nouveaux arrivants étaient devenus de simples francophones ou des Québécois. Sa réponse fut catégorique : « Des Québécois, car notre langue porte les valeurs de notre société ! ». Sa réponse ne m’a guère surpris. 

Cet exemple, comme celui de la Catalogne et du Pays de Galles, suffit à démontrer que le déclin de la langue corse n’a rien d’inéluctable. Tout est une question de volonté politique.

(…)

 

Pour nous, la langue corse a vocation à reprendre sa place en Corse parce que c’est la langue des Corses. Toutefois, il n’est nullement question d’éjecter la langue française. Comme la plupart des Corses, j’aime passionnément la langue, la littérature et la culture françaises. Je n’imagine pas que les futures générations puissent s’en détourner. La Corse a donné à la langue française de merveilleux auteurs, parmi lesquels Paul Valéry. Demain, nous continuerons à participer à la francophonie. Comme vous le savez, cela n’implique pas de disposer de documents d’identité français. De nos jours, l’usage de l’anglais est également nécessaire. Nous nous inscrivons résolument dans une perspective de plurilinguisme. Mais que l’on n’attende pas de nous que nous renoncions à notre langue et, de ce fait, à demeurer ce que nous sommes.

 

Je ne voudrais pas conclure sans qu’aient été prononcés quelques mots dans nos langues. Aussi, je vais demander à un volontaire de lire quelques vers de l’un de vos poètes, Jean Pierre Calloc’h, après quoi je vous en donnerai une traduction en langue corse. Le thème n’est pas très gai, mais il est universel : le poème s’intitule, dans sa version française, « Pour les Trépassés »…

 

 

Eid en enan

 

Marù int. Astennet int ér bé yein ha didrouz

Duhony é béred er barréz ;

Edan o ‘fenn pedér planchenn, un torchad plouz,

Ar er groéz du, o anù, gwéharall bet égwenn.

 

 

Per i morti

 

Sò morti. Sò stesi in la tomba fredda è

silenziosa,

Quallà, in lu vechju campu santu ;

Sottu à lu so capu, quattru tavule, un suppulu di paglia,

È sopra, qualchì palmu di terra, è una petra, è una croce.

 

 

Vi ringraziu, je vous remercie.

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24 janvier 2009 6 24 /01 /janvier /2009 14:34

 

 



Bona tarda,

En nome de Corsica Nazione Indipendente, vull donar les gràcies als organitzadors d’aquesta primera Conferència Mediterrània de les Nacions sense Estat i adreçar a totes les delegacions, a tots els participants a aquesta manifestaciò, aixi com al govern català, els sentiments d’amistat del poble cors.

Après ces quelques mots dans votre langue, j’aurais voulu poursuivre en corse, mais les traducteurs actuellement à l’œuvre éprouveraient quelques difficultés ! J’utiliserai donc le français, qui est aussi une belle langue, et qui est mieux connue du service de traduction simultanée…

Je vous dirai simplement dans ma langue : bona sera à tutti i riprisententi di i populi di u Mediterraniu, prisenti à issa cunferenza !

Je vais vous parler d’un petit peuple vivant au cœur de la Méditerranée, et qui a eu une histoire agitée. Depuis la plus haute antiquité jusqu’à nos jours, la Corse a connu de nombreux envahisseurs auxquels elle a résisté avec vigueur et opiniâtreté. C’est au troisième siècle avant notre ère que les Corses commencèrent, contre les Romains, ce que les historiens reconnaissent comme une véritable guerre d’indépendance, la première de l’histoire de l’île. (…)

Le 8 mai 1769, la défaite de Ponte Novu sonnait le glas de notre indépendance. Quelques semaines plus tard naissait Napoléon Bonaparte. À l’âge de vingt ans, alors qu’il était encore indépendantiste corse, il décrivait en ces termes la conquête française de notre pays : « Je naquis quand la patrie périssait. Trente mille Français vomis sur nos côtes, noyant le trône de la liberté dans des flots de sang… »  

Ainsi, le mariage entre la Corse et la France ne fut ni un mariage d’amour ni un mariage de raison, mais bien un mariage forcé.

Après s’être emparé de notre pays, la France décida de saper les deux piliers de son indépendance encore toute proche et chère au cœur des insulaires : sa culture et son économie en construction. L’éducation nationale française entreprit, méthodiquement, de déraciner la langue corse, sanctuaire de notre identité. En matière économique, Paris appliqua à la Corse, pendant une centaine d’années, une loi douanière qui consistait à taxer toutes les exportations et à détaxer toutes les importations. Il s’agissait d’un régime plus défavorable que le régime colonial lui-même. (…) Dans les années 1960, inspirés par les différents mouvements de décolonisation, de jeunes Corses décidèrent de s’attaquer à ce funeste système politique. (…) Certes, le combat national a permis une vraie prise de conscience populaire et un certain nombre d’avancées : la réouverture, dans les années 80, de notre université que la France avait fermé lors de l’annexion sauvage du XVIIIe siècle ; deux statuts institutionnels particuliers ; la préservation de notre littoral, que les spéculateurs s’apprêtaient à bétonner ; quelques mesures en faveur de notre langue… Mais le problème corse est toujours loin d’être réglé. (…)

Aujourd’hui, la situation est totalement bloquée par le tandem Sarkozy - Villepin. Nous venons d’évoquer l’état d’esprit de Monsieur Sarkozy. Celui du Premier ministre Dominique de Villepin n’est guère meilleur. Sincèrement persuadé que la France est le phare de l’humanité, il ne peut évidemment pas comprendre que des gens qui ont la chance - et l’immense honneur - de disposer de papiers d’identité français veuillent s’en défaire. Aussi, visiblement, un indépendantiste corse n’est pas réellement à ses yeux un adversaire politique, mais plutôt un malade à soigner. Lorsque nous avons eu l’occasion de le rencontrer à l’Assemblée de Corse, il n’a pas vraiment été désagréable, mais nous a observé d’un air intrigué, un peu avec la curiosité d’un entomologiste se penchant sur une espèce inconnue… Vu de Barcelone, cela peut paraître étrange, mais la classe politique et la haute administration française fourmillent de personnes sincèrement persuadées que la plus haute ambition, le rêve le plus fou de chacun des êtres humains peuplant la planète, est de devenir français. Vous comprendrez donc que dans ces conditions, il n’est pas simple d’engager le dialogue avec eux lorsque l’on est Corse et indépendantiste. Ils disent d’ailleurs « séparatiste », avec une moue horrifiée… (…)

Il y a quelques jours, l’Assemblée Générale de Corsica Nazione Indipendente a adopté une motion d’orientation politique préconisant la création d’un Etat libre, d’une République corse dans le cadre d’une Europe des peuples. Cette République aurait un fondement social fort, inspiré de nos traditions égalitaires, communautaires et de solidarité.       

Voilà donc quelles sont les aspirations des nationaux corses : construire un pays moderne et ouvert sur le monde, et le faire à partir de notre identité et de notre quête d’universel, deux choses qui ne sont pas antinomiques mais complémentaires : nous voulons être nous mêmes pour avoir quelque chose à partager avec nos voisins, et avec ceux qui, venus d’autres contrées, veulent participer à notre devenir national.

Qui peut contester que la Corse, Euskadi, le Kurdistan, la Kabylie, soient des nations ? Qui peut contester que la Catalogne soit une nation ? Il suffit de visiter les galeries d’art de Barcelone pour rencontrer des créations issues du génie national catalan, des œuvres fortement identitaires et, en même temps, touchant à l’universel. À une époque de sa vie, avant d’adhérer au nationalisme algérien, le responsable politique Ferhat Abbas avait déclaré qu’il avait cherché partout la nation algérienne, y compris dans les cimetières, et qu’il ne l’avait pas trouvée. Et bien, pour les pays représentés à cette Conférence, il n’est pas nécessaire de chercher beaucoup. À Corti comme à Barcelone, la nation se trouve à la fois dans les cimetières et dans les maternités, dans les musées, dans les bibliothèques, dans les écoles, et jusque dans l’air que nous respirons ! 

Alors, nous n’avons pas besoin de l’avis de Madrid, de Paris, de Rome, de Rabat ou d’Alger pour savoir que nous sommes des nations. Mais il faudra pourtant exiger notre reconnaissance. Il ne suffit pas d’être des nations historiques pour exercer nos droits nationaux. Seule une lutte déterminée pourra conduire à la prise en compte de notre existence et de nos intérêts collectifs. Car malheureusement, l’Europe qui se dessine n’est ni une Europe des peuples ni une Europe sociale mais, au contraire, une Europe des états constitués et de la finance. C’est la raison pour laquelle il nous faudra être unis et solidaires, pour peser sur notre propre devenir, national et européen. Aussi, les organisateurs de cette première Conférence des Nations sans état de la Méditerranée - et spécialement le gouvernement catalan - doivent être salués et remerciés pour cette initiative majeure.

J’en aurai terminé après vous avoir dit mon optimisme. Il y a en Corse un chant dont les paroles sont celles-ci : Sè no tiremu tutti inseme, forse chè un ghjornu sciapperà !, « Si nous tirons tous ensemble, peut-être qu’un jour (cette chaîne) se brisera ! ». Et bien, nous allons tirer ensemble, et nous briserons - je n’ai aucun doute à cet égard - toutes les chaînes de la dépendance !

 

Moltes gràcies.

 

 

 

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  • : Jean-Guy Talamoni
  • : Jean-Guy Talamoni est avocat. Président de l'Assemblée de Corse, il a publié deux ouvrages politiques, "Ce que nous sommes" (Ramsay/DCL, 2001) et "Libertà" (2004), ainsi que trois livres sur la langue corse.
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