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Jean-Guy Talamoni est avocat. Président de l'Assemblée de Corse, il a publié deux ouvrages politiques, "Ce que nous sommes" (Ramsay/DCL, 2001) et "Libertà" (2004), ainsi que trois livres sur la langue corse.

La langue corse à l'Assemblée

Intervention de Jean-Guy Talamoni pour le groupe indépendantiste « Corsica Libera »

 

Débat à l’Assemblée territoriale sur l’officialisation de la langue corse

 

Aiacciu, le 20.VII.07

 

 

 

Mes chers collègues,

 

Nous nous sommes, dans cette enceinte, souvent affrontés politiquement ces derniers mois et il y a fort à parier que les temps qui viennent ne seront pas marqués par une entente cordiale entre les différents courants de notre Assemblée.

Je voudrais cependant, sur le sujet de la langue corse, de notre langue à tous, appeler l’ensemble des membres de notre institution à mettre de côté toute arrière pensée partisane - ce que nous voulons, pour notre part, faire sincèrement aujourd’hui - s’agissant d’un thème aussi fondamental.

Nous devons, ensemble, tenter d’avoir une réflexion orientée vers l’action, une action profitable à tous, puisque visant à préserver ce trésor que nous avons en partage et qui constitue le sanctuaire de notre identité commune : a nostra lingua.

S’è no femu di manera à salvà - eppò à sviluppà - issu tesoru, tandu i vincitori ùn seranu micca l’indipendentisti, nè i naziunalisti, ma noi tutti, è tutti l’altri Corsi, perchè, s’è no simu quì in disacordu nantu à quasi tuttu (è ci vole à ricunosce la dinù !), ci hè una cosa chì ci pò avvicinà : l’amore di ciò chì face u cimentu d’un populu chì esiste dipoi millai d’anni, a nostra lingua, chì ghjè sicuramente un modu di cummunicà, ma dinù a nostra manera di participà à u mondu.

Oghje, ùn hè micca u rispunsevule puliticu chì vi parla.

Ghjè un Corsu chì parla à d’altri Corsi d’un affare chì ùn ci pò spiccà, chì ùn ci pò chè unisce.

 

Si j’ai tenu à introduire le sujet de cette façon peu habituelle, c’est parce que je suis fermement convaincu que ce que nous avons à faire aujourd’hui peut avoir une portée dépassant largement le cadre d’une mandature.

Je voudrais donc rendre chacun d’entre vous attentif aux enjeux.

Je chercherai également à exclure de mon propos toute considération d’ordre idéologique, pour analyser la situation de la façon la plus objective possible.

 

Il n’est pas nécessaire de revenir sur l’importance de la langue et la nécessité de la préserver, puisque c’est ce que nous avons déjà dit tous ensemble, à l’unanimité, par notre délibération de 2005.

Nous avons à l’époque réaffirmé notre attachement à la langue et créé « U Cunsigliu di a lingua è di a cultura ». Nous avons également mandaté un comité d’experts (parmi lesquels des membres de l’Université de Corse, mais également d’institutions extérieures comme la Sorbonne), chargés d’étudier la situation de la langue au sein de la société corse et de faire des propositions d’orientations.

Ce comité a rendu son rapport, depuis un certain temps déjà.

Tout en exposant leurs préconisations dans différents domaines, ses rédacteurs affirment qu’à défaut de donner un statut d’officialité à la langue, il n’est pas envisageable d’en arrêter le déclin. Appelé par la Commission de la culture de notre Assemblée à préciser la pensée du comité de scientifiques, son président, Jacques Thiers, confirme de façon parfaitement claire que « Cette longue et profonde observation de notre situation me conduit à affirmer qu’un statut d’officialité est incontestablement l’une des conditions nécessaires pour que nous puissions espérer pour la langue corse un arrêt de l’érosion de sa pratique vivante, une remontée dans les usages ainsi qu’un développement harmonieux et utile pour son usage social. »

 

Je pourrais m’arrêter là :

 

Avemu dumandatu à uni pochi di scientifichi di dì ciò chì ci vulia à fà par salvà a lingua corsa.

L’anu detta, chjaramente è bè.

Avà, ci tocca à fà, simpliciamente, di manera à ùn lascià more u corsu.

Dumane, nimu ùn puderà dì chì ùn sapia micca cosa fà…

È d’esse naziunalistu o contru à i naziunalisti ùn hà nunda à chì vede incù u prublema.

À issu prupositu, tengu à salutà u Mere di Galeria, chì ùn hè mancu appena naziunalistu è chì hà fattu, da Corsu è da elettu, ciò ch’ellu pudia fà per a so lingua.

 

Quelques mots également pour vous montrer que l’officialisation du corse n’est aucunement une question idéologique, mais tout à fait pratique.

Aujourd’hui, une entreprise n’a pas le droit de formuler une offre d’emploi en mentionnant « langue corse souhaitée ». C’est illégal. Une société de Porti Vechju en a fait l’expérience l’an dernier. L’ANPE avait refusé d’enregistrer l’offre, son directeur expliquant qu’il avait consulté le service juridique à Paris et que s’il ne rejetait pas cette offre, il pouvait être traduit devant le tribunal correctionnel pour discrimination ! Voici l’un des problèmes qui pourraient être réglés par l’officialisation. Cette dernière contribuerait, de toute évidence, à faire de la langue corse un vecteur de promotion sociale.

Ainsi, les parents trouveraient un nouvel intérêt à placer leurs enfants dans les sites bilingues, dont on sait qu’ils rencontrent des difficultés dans de nombreuses régions de l’île. Ceux qui placent aujourd’hui leurs enfants dans les sites bilingues sont généralement des Corses qui le font plutôt pour des raisons identitaires. Les parents qui ne sont pas d’origine corse ne voient pas l’intérêt de faire apprendre à leurs enfants une langue « inutile » en termes de promotion professionnelle et sociale. Le résultat est que le libre choix et la filiarisation conduisent à l’ethnicisation des rapports scolaires et sociaux.

Je prendrai simplement un exemple : à l’Isula Rossa, à la rentrée 2008, on comptait 1% d’enfants d’origine maghrébine dans la filière bilingue contre 25% dans la filière standard. Est-ce une bonne chose ? Pour notre part nous prétendons que non. L’officialisation du corse changerait nécessairement l’attitude des parents d’origine étrangère et notre langue retrouverait sa vocation à être un vecteur d’intégration, comme à une époque, pas si lointaine, où les étrangers arrivés dans l’île apprenaient le corse, naturellement, en travaillant…

Je m’adresse ici tout particulièrement aux membres de cette Assemblée qui se revendiquent de l’idée républicaine française. Ils n’en sont pas moins Corses.

Est-ce que votre conception de la république vous conduit à accepter que l’on mette actuellement en place, de fait, des filières sur la base de critères ethniques ?

Vous voyez qu’il n’est pas nécessaire, tant s’en faut, d’être indépendantiste pour souscrire à notre proposition ! Je dirai même que, paradoxalement, se dire républicain français devrait conduire à la même conclusion !

 

Je pourrais également vous dire que les mesures votées par cette Assemblée en faveur de notre langue, à défaut d’officialisation, ne changeront pas fondamentalement les choses. Elles les changeront d’autant moins que l’Administration française continue à s’y opposer, se refusant même à appliquer les conventions qu’elle a signées avec notre collectivité. Dois-je rappeler qu’à la rentrée 2007, il a fallu deux occupations successives de l’Inspection académique de la Haute-Corse par des formations politiques et syndicales, pour obtenir l’ouverture de sites bilingues pourtant prévue contractuellement !

 

La CTC elle-même, bien souvent, ne respecte pas ses propres délibérations. Souvenez-vous qu’il y a deux ans, presque jour pour jour, nous avons voté un « Plan stratégique d’aménagement et de développement linguistique pour la langue corse ». Et pendant ces deux ans, aucune des mesures pratiques prévues par ce plan n’a été mise en œuvre !

 

Ma oghje, ùn simu micca quì per fà rimproveri, nè mancu per apruntà i rimproveri di dumane.

Vuleriamu simpliciamente avanzà.

Perchè a lingua ùn hè micca solamente un cartulare, ghjè assai di più.

 

Eccu ciò ch’o vulia dì.

 

Eri, pigliendu u caffè, aghju spiecatu à dui amichi ciò ch’o m’apruntava à dì à a nostra Assemblea per circà à ottene u votu di issa muzione.

U primu m’hà dettu : « Perdi u to tempu : ùn vale à fischjà quandu u cavallu ùn vole beie ».

U secondu hà osservatu incù malizia : « Ind’è mè si dice : Ùn vale à fischjà quandu u sumere ùn vole beie » !

Aghju rispostu chì ancu s’è un imperatore rumanu avia numinatu u so cavallu senatore, ùn ci era, à l’Assemblea di Corsica, nè cavalli, nè muli nè sumeri…

 

Vi dumandu di vutà per l’ufficialisazione di a lingua corsa.

 
_________________________________

 
   

Résultat du vote: 

Pour:
 19 voix
Contre: 28 voix
Non partic., abst.: 4. 

 

 

  

 

 

 

 

 

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P
Jean-Guy, je me permets de publier ici la Tribune que j'ai fait paraitre dans la Corse Votre Hebdo concernant ce sujet brulant! Amicizia<br /> <br /> <br /> <br /> Le feu sous la langue par Paul Antonietti<br /> <br /> <br /> <br /> Les terribles incendies qui ravagent la Corse suscitent à juste titre colère, indignation, polémiques et condamnations rituelles sans oublier les mouvements de menton de ceux dont l’existence publique se résume à la seule affirmation du principe d’autorité. Qu’importe si le Train de la Collectivité Territoriale aurait pu payer des dizaines de Canadairs et une véritable politique de prévention. Les faits sont là, face à un tel désastre humain et écologique, les incendiaires doivent payer, ils sont responsables et coupables de tous nos maux. Reste encore à les identifier et à les dénoncer. Ce qu’en bon citoyen j’ai décidé de faire aujourd’hui.<br /> Un autre fait grave est passé inaperçu, masqué par le rideau des flammes et l’arrivée du Tour de France: le rejet par l’Assemblée de Corse d’une demande de co-officialisation de notre langue. Un rejet motivé au nom des principes de la République. Difficile en effet pour nos professionnels de l’indignation de condamner leurs propres actes, ils réservent leurs communiqués pour des conséquences qui en découlent.<br /> Quel rapport entre ces faits à première vue étrangers et qui ne présentent pas la même apparence de gravité ? Dans un cas comme dans l’autre, profitant de la médiocrité de nos politiques publiques, des incendiaires sont à l’œuvre et notre patrimoine naturel, culturel et social part en fumée. Si nous ne voulons pas comme disait Pierre Guidoni « que notre île devienne un rocher », il est temps de réagir.<br /> Ecoutons les recommandations de l’Unesco en 2008:<br /> « Lorsque les langues s’éteignent, la diversité culturelle, qui fait la richesse de l’humanité, s’amenuise. Car, avec elles, ce sont aussi des perspectives, des traditions, une mémoire collective et des modes uniques de pensée et d’expression - autant de ressources précieuses pour garantir un avenir meilleur - qui se perdent… Dans ce contexte, il est urgent d’agir afin de promouvoir le multilinguisme… » <br /> Pour nos élus républicains l’Unesco n’est donc qu’un « machin » bon à classer nos sites au patrimoine de l’humanité mais inapte à encourager la pratique de notre langue qui fait partie de ce même patrimoine. Ils n’ont pas encore compris que la terre et les hommes en Corse sont indissociables de notre identité. A croire que cette identité leur fait toujours aussi peur sauf à être vendue comme un produit de consommation folklorisé. Tristes tropismes. Triste réalité. Car une fois évacuées la fumée et les flammes de l’émotion médiatisée quelle « vraie nature » retrouvera-t-on sur notre terre brulée? <br /> Une sur fréquentation massive de touristes à faible valeur ajoutée. Un tourisme de prédation, irrespectueux de nos particularités locales et de l’environnement, inadapté à l’état de nos infrastructures routières et d’hébergement et non soluble dans notre tradition d’hospitalité. <br /> Un apport de population « exogène » à la recherche d’une meilleure qualité de vie ou d’avantages sociaux, mais qui s’intègre par le bas à une société corse fragilisée qui a perdu tous ses repères en termes de vie collective et de sociabilité.<br /> Un abandon de l’intérieur laissé aux broussailles et au maquis, à la divagation des vaches, des cochons et des randonneurs en mal d’authenticité. Une destruction lente de nos villages sans respect du bâti ancien et sans entretien des espaces collectif. La fin de notre agriculture.<br /> Une « banlieurisation » de nos villes asphyxiées par l’automobile. Des agglomérations sans âme, sans équipement, sans assainissement, sans politique d’urbanisme, de logement et d’intégration. Un mitage de nos territoires sans organisation. Une vie quotidienne de plus en plus difficile derrière des caddies d’hypermarchés. Une montée de la délinquance et des incivilités.<br /> L’asservissement des corses au culte de l’argent facile et du paraitre, à la médiocrité du consumérisme et du mimétisme culturel et social, à l’individualisme destructeur de toute solidarité. L’acculturation généralisée.<br /> La paupérisation d’une grande partie de la population, réduite à des salaires de misère, à la précarité, aux minimas sociaux et à l’assistanat. Une absence totale de perspective pour nos enfants.<br /> L’impossibilité pour ceux qui veulent travailler, investir, produire et développer leur île de le faire dans des conditions « normales » d’efficacité et de compétitivité dans quelque domaine que ce soit. Quatre heures pour faire Ajaccio Bastia !<br /> Faut-il encore en rajouter, parler de ces élus qui promettront encore aux prochaines élections d’éteindre les incendies politiques qu’ils auront eux-mêmes allumés ? <br /> Ils pourront toujours opposer les handicaps de l’insularité et de la démographie, les attentats et pourquoi pas la malédiction d’Arrigo Bel Messere qui voulait que notre île alla de mal en pis. Eternelles litanies qui n’excusent en rien l’absence de vision et de courage politique et la mise à l’encan de notre patrimoine et de notre identité. <br /> A ceux qui seraient choqués par la virulence de mes propos, je rappellerais la violence quotidienne que nous subissons, une violence sociale, économique et culturelle, une violence physique et morale, une violence politique « anonyme » qui sous couvert de démocratie met à bas tous les fondements de notre société plus surement que nos clandestins. Nous sommes de plus en plus nombreux, élus de toute famille politique ou militants, acteurs de la vie publique, de l’économie ou de la culture, simples citoyens, à estimer que le seuil de tolérance à la douleur d’être corse est atteint. <br /> Nous ne voulons plus être les spectateurs ou les complices de notre disparition. Le choix n’est pas entre un passé nostalgique et une modernité destructrice, entre la pauvreté « albanaise » et les richesses du tourisme débridé. Nous avons tout et rien à la fois!<br /> Nous voulons vivre une mondialisation heureuse en paix sur notre terre, avec notre langue, nos perspectives, nos traditions, notre mémoire collective et nos modes uniques de pensée et d’expression, autant de ressources précieuses pour garantir un avenir meilleur aux futures générations. Nous voulons simplement rester nous-mêmes face au mépris dont nous sommes les victimes et à l’avenir que l’on veut nous imposer. <br /> En attendant, un feu couve sous la langue corse. Il n’est pas prêt de s’éteindre. Pour ces incendiaires là, le verdict des urnes ne sera jamais aussi sévère que celui d’un tribunal d’exception.
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C
Les élus qui se prétendent corses et qui osent ne pas défendre la langue de leur pays sont indignes de leur héritage.<br /> Ils seraient bien inspirés, de même que les autorités de la République Française de s'inspirer de l'autonomie et de l'ensemble des droits que la République Italienne reconnait à la région du Sud Tirol : langue tyrolienne reconnue comme officielle aux cotés de l'italien, obligation de bilinguisme pour les fonctionnaires (notamment policiers et juges) ....
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S
merci a mr talamoni pour votre soutien intelligent a notre langue bafouée sur sa terre et par certains de ses enfants,ce qui est le plus grave à mon sens.oui à l'officialisation de la langue par respect pour les corses et surtout ceux qui la parlent!nous avons bien été contraints d'apprendre le français.la moindre des choses est d'obtenir ce droit à ce qu'une langue soit reconnue parlée maintenue.merci
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L
De père corse et de mère du Pas-de-Calais. Mon père (1908-1978) enfant n'avait pas le droit de parler corse à l'école publique.Ma mère qui ne voulait entendre que le français à la maison interdisait à mon père de nous apprendre le corse. Résultat, je prends des cours sur internet pour me réapproprié ce que la France m'a volé, une partie de mon identité. Le meilleur moyen s'assujetir un pays est l'ehtnocide, par là même interdire sa langue. Aujourd'hui, le corse est enseignéà l'école primaire, pas au delà. Pourquoi ne pas prolonger l'enseignement de la langue au collège ?
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O
Avete fà benissimu ad arricordà a a ghjente chi a lingua corsa ghjè di tutt'ugnugnu, di l'omi d'issa terra, di a manca e di a destra, di i naziunalisti e di l'altri, di i corsi di ceppu e di i ghjunghjiticci chi so ingrandati fraternamente incu noi. Ma chi ne serà avale di a nostra lingua, issa lingua chi ghjè assai più che un mezzu di comunicazione-ghjè vera què- <br /> Chi averete da fà, da prupone oramai per a riscossa di a lingua, di a cultura nustrale, per rifà a Corsica, postu chi a lingua, l'amore per a nostra lingua un ci unisce più, nemancu a "l'assemblée de Corse" ?
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